Le premier souvenir fut celui d’un mange-disque rouge. On l’a tous eu. Des livres-disques de Chantal Goya. De Pierre Perret « vaisselle cassée, c’est la fessée ; vaisselle foutue pan pan cucul » et l’histoire d’un lion aux yeux mauves.
Du mange-disque qui tourne en boucle. De la collection de petits livres Disney qu’on recevait par La Poste et qu’on pouvait commander en 4ème de couverture de Télé7Jours, avec leur petit format et leur couverture en dur aux couleurs douces.
Des gros livres que je recevais par les amis de passage de mes parents et qui savaient que j’aimais regarder les beaux livres. Surtout ceux sur la préhistoire ou Disney ou les contes du monde entier.
Du petit lit pour enfant dans ma chambre dans lequel je ne voulais pas dormir. C’était mieux avec maman. Et si mon père voulait dormir dans mon petit lit, c’était bien. S’il ne voulait pas, c’était bien aussi mais tant pis pour lui.
De la grande girafe Sophie qui faisait "squick" quand on la pressait sauf si je la mettais dans le bain. Elle refusait de squicker dans le bain, la drôlesse. Du petit chien en peluche qui marchait tout seul. De ma poupée en mousse qui me suivait partout.
Et après le mange-disque, la chaîne Hifi dans le salon. Celle qui servait en journée pour ma mère et moi à brailler de concert sur L’Enfant Et L’Oiseau de Marie Myriam, sur Mireille Mathieu qui nous donnait mille colombes et Nana Mouskouri qui chantait Liberté. Et Julio ! Julio qui nous disait que nous les femmes, nous étions son drame. Ça, ça me plongeait dans des abîmes de perplexité mais c’était pas grave, je chantais aussi parce que vu comme ça ravissait ma mère, ça ne pouvait être qu’une chouette chanson.
Et bien sûr, il y avait Joe Dassin. La vedette au costume blanc qui sifflait sur la colline et mangeait des petits pains au chocolat et qui disait que si je n’existais pas, pourquoi qu’il existerait, surtout pendant l’été indien en regardant les tableaux de Marie Laurencin. Alors ça, ça me laissait sans voix le coup des tableaux. Ça devait être un sacré truc pour qu’on en parle dans la chanson.
Mais on n’écoutait pas ces délices orgasmiques pour esgourdes quand mon père était dans le coin. Là nous passions à du sérieux, du vrai. Mort Shuman et son Papa Tango Charlie, Demis Roussos et son torse, Nicole Croisille et les chanteuses « qui avaient de la voix, pas comme ces soufflets de biniou enfumés de Françoise Hardy ou Jane Birkin ».
Mais il était un genre dans lequel toute la sainte famille communiait : le disco ! Et son Vatican pour porter la parole du Seigneur et héberger son clergé : les plateaux de variété ! En priorité ceux des Carpentier mais point de racisme chez nous : les Drucker, Guy Lux et tous les gens qui savaient bouger en gardant les plis d’une chemise à jabot ou d’un pantalon pattes deph’. Jeane Manson chantait dans la bande à Jojo et faisait concurrence à Joëlle dont le côté « plate idole 70s » ne plaisait point à mon géniteur.
Carlos s’habillait en nourrisson et Michel Sardou dardait un regard ténébreux du haut de ses bottines à talon. Claude François hochait du postérieur au milieu des mythiques Claudettes toutes de paillettes et de lamé recouvertes. Guy Lux rudoyait sa co-présentatrice tandis que le plus russe de nos animateurs, l’imposant Léon Zitrone, imperturbable, commentait la course folle des vachettes provinciales en goguette dans les rues de Miroufle-les-Gigondes sous les huées des supporters de Fleury-la-Biroute qui espéraient bien l’emporter lors de l’épreuve des « je vais te foutre mon gourdin dans le c…carafon quand on sera dans la piscine ».
On a même fait le grand saut. On a été voir les enregistrements des émissions. Se rendre compte de l’envers du décor pour voir les vedettes en vrai. Sacha Distel, Guy Lux et même Jean-Luc Lahaye. J’étais gamine mais j’ai encore le souvenir de Guy Lux piquant des colères incroyables et se défoulant sur Sophie Darel.
On voyait les vedettes en vrai, de pas trop loin. Ça en jetait ! D’ailleurs, on était priés de venir « en dimanche » et bien peignés pour composer un joli public élégant et content d’être là. Le plus sympa, c’était Jean-Luc Lahaye. Très causant avec les gens pendant les pauses mais qui se dépensait comme un fou. Entre les prises, il devait souvent changer de chemise. En cherchant bien, je dois encore avoir des tickets d’entrée pour Lahaye d’Honneur. Ma mère a dû les garder, on ne jetait rien…
La musique classique, le Grand Echiquier et Apostrophes n’étaient même pas envisagés. C’était pour les cultureux qui se pressaient le citron. Au pire, il y avait toujours le Rondo Veneziano ou Jean-Claude Borelly et ses reprises des succès du moment à la trompette pour nous rapprocher de la grande musique. Il faut dire qu’on ne fréquentait personne qui aurait pu nous faire tomber du côté obscur de la culture. On ne se mélangeait pas. La musique était bien un marqueur social. Ce qu’on écoutait nous définissait. D’ailleurs, quand j’ai commencé à écouter de la musique classique, on s’est demandé ce que je couvais. Quelle mouche m’avait piquée! Le jazz est passé pour une lubie de « jeune qui se cherche » et qui veut jouer à Gréco en mal de Miles Davis.
Quand ma mère a découvert Frank Michael, j’avais déjà quitté la maison. J’ai donc fait des trajets en voiture, souriante, détendue, heureuse de vivre entre ma mère et sa meilleure amie clamant avec des trémolos dans la voix que « toutes, toutes les femmes sont belles » et pour tout vous dire ….je l’ai regretté mon Julio !
Mais quelle saloperie, moi aussi j'ai assisté à des enregistrements d'Intervilles ça me revient merde. Wallah je mets plus les pieds par ici, y a bcp trop de dossiers et souvenirs honteux que ça pourrait déterrer de ma mémoire sélective LOL
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