La musique a toujours été présente autour de moi dès ma petite enfance. Télé, radio mais surtout disques. Mes parents en ont acheté jusqu’à ce qu’ils deviennent vieux, vers 30 ans… Surtout ma mère. Elle refusait sans doute de faire le deuil de sa jeunesse yéyé.
Peu de 33 tours à la maison, probablement à cause du prix, mais beaucoup de 45 par contre. C’était cheap et plus rapide à écouter. On avait LA chanson du moment, ça durait 3mn30 et ça suffisait bien. Je devais avoir trois ans lorsque je me suis éveillé à ce qui m’entourait et je revois encore les skeuds rangés n’importe comment dans une sorte de râtelier métallique doré déglingué.
Les parents ont tendance à acheter à leurs gosses ce qu’ils aiment eux en version jouet. Des fondus de bagnoles offriront des circuits électriques par exemple. Pour ma part, au Noël 75, j’ai reçu en cadeau un mange-disque jaune. Je n’en ai aucun souvenir mais je le sais car des photos témoignent de l’évènement dans l’album familial. On m’y voit le tenant fermement par sa poignée avec ma mère à côté d’un porte-manteau en peluche comme ça se faisait, et probablement offert en même temps. Y’a même un 45 tours de Sheila dans le fond…
Je nourrissais ce mange-disque avec le peu que j’avais. Un livre-disque de Aglaé et Sidonie, Père Lipopette et Sacripan, Casimir et les 45 tours de mes parents. Je me rappelle de Jeanette, Nicolas Peyrac ou du Schmilblick de Coluche. Des trucs que j’écoutais sans rien y comprendre mais tant que ça faisait du bruit, j’étais content.
Vers 1978, et l’emménagement dans notre nouvel appart, j’eus un autre mange-disque, sans doute pour remplacer le premier qui avait dû péter. De jaune, je passais à un engin orange. Peut-être le cultissime mange-disque Lansay, même si je n’ai jamais vraiment bien retrouvé l’exact modèle que j’ai eu. Il y a dû y avoir des dizaines de variations sans parler des clones.
J’en avais bien besoin vu que Goldorak avait atterri en France la même année, avec le bruit que l’on sait, et j’avais très rapidement reçu le 45 tours de Noam.
Avec une pochette faite à l'arrache à l'aide d'images officielles, des paroles de Pierre Delanoë, auteur pour Polnareff ou Sardou, une musique de Pascal Auriat, un type qui a travaillé avec Dalida, et interprété par Noam, un gamin israélien, ex petit protégé de Mike Brandt, ce 45 tours improbable, enregistré en une nuit, fut logiquement refusé par quasiment toutes les majors. « Un générique sur un dessin animé japonais ? Pffff… Ça ne marchera jamais ! » Et il s’en écoula plus de 4 millions d’exemplaires. La grande intelligence des maisons de disques…
Delanoë déclarera par la suite n’avoir aucun souvenir de la réalisation de ces paroles. Sans doute les a-t-ils écrites sur un coin de table lors d’un déjeuner dans un resto chic en attendant l’addition… Quant à Noam, ce fut un coup de booster fameux pour lui en France. Il était désormais connoté et, à chaque série pour la jeunesse, on le réclamait, quitte à faire des reprises. Le nom de « NOAM » en pochette était l’assurance de jackpot. Il avouera des années plus tard avoir enregistré la chanson de Goldorak en yaourt faute de savoir parler français à ce moment là et n’avoir jamais vu un seul épisode du robot de l’espace de toute sa vie.
Ce disque, c’était un aveugle tirant avec une carabine faussée et mettant dans le mille !
Inutile de préciser que ce simple tourna longuement dans mon nouveau mange-disque. A peine terminé, je le remettais en marche. De la lobotomie en version vinyle.
Sa face B me permit de comprendre la signification du mot « instrumental ». Juste la musique de la chanson. J’aimais beaucoup ça, je décortiquais mentalement la moindre note, le moindre rythme. A l’époque, je ne savais pas que j’étais capable de jouer du clavier à l’oreille.
Un soir, n’en pouvant plus d’idolâtrie et manquant de reliques à adorer, j’entrepris de découper le Goldorak au dos de la pochette. Rendez-vous compte, il était en pied, brillant, majestueux ! Tant pis pour le disque ! Quelques coups de ciseaux, crouic-crouic-crouic, et hop ! Tous à genoux devant le bout de carton sacré !
Bon, un disque de Goldorak, c’est bien, mais au bout d’un moment, sa digestion fut faite. Il me fallait autre chose à me mettre sous la dent de lait, mais ce n’était pas évident. Le plus souvent, il fallait attendre Noël et l’anniversaire pour ça et ça n’arrive qu’une fois par an... La mort de Jacques Brel en 1978 me donna un sacré coup de main. Mes parents l’adoraient, chose que je ne comprenais pas bien du haut de mes 5/6 ans. Il chantait fort, beuglant parfois et je ne comprenais rien à ce qu’il racontait dans ses chansons qui parlaient d’Amsterdam en Belgique… La lumière sur lui se fera à l’adolescence.
J’accueillis ce décès avec opportunisme. Le bon vieux réflexe des gens se précipitant dans le premier magasin à l’annonce de la mort d’un artiste pour acheter ses disques m’aida à agrandir ma collection. En effet, pendant quelques temps, il arrivait que le samedi, mes parents décident d’aller s'offrir un album de Brel. C’était la sortie du weekend et leur façon de porter le deuil sur ce chanteur.
Nous nous rendions à pied en troupeau familial au disquaire de la ville, situé « tout en haut » à défaut de savoir le nom de cette rue... Ce n'était pas la porte à côté et ça faisait une trotte pour l’enfant que j’étais. Je considérais cet endroit comme le bord de l’univers. Quand je pense au trajet maintenant, fait en moins de 15mn, je souris un peu tristement. En grandissant, les distances se raccourcissent.
C’était bien ces sorties en famille. Je revois mon père fouillant les bacs de disques, une clope au bec. Ma mère l’aidant. Sans clope. Quant à moi, j’attendais qu'on me demande ce que je voulais, sachant très bien que moi aussi, je ressortirai de ce magasin avec un disque à la main. Sale petit parasite ! C’est de cette façon que j’ai eu les deux 45 tours des Goldies. Je me rappelle, ils étaient derrière le type à la caisse, bien en évidence, sans doute les meilleures ventes du moment.
Là, on larguait Noam et son accent de marchand de jeans pour un chanteur bien de chez nous. Derrière le pseudo des « Goldies » se cachait Jean-Pierre Savelli, que l’on retrouvera par la suite interprétant, entre autre, le générique d’Albator 84 ou de Il Etait Une Fois… L’espace, puis il devint « Peter », de l’horrible duo Peter et Sloane qui nous polluera tant les oreilles et fut le premier N°1 du tout jeune Top 50, nous révélant ainsi chaque semaine que les Français n'avaient aucun sens du rythme...
Pierre Delanoë reprit du service pour les paroles de ces deux 45 tours. Quant à la musique, la production utilisa directement celle des japonais. Shunsuke Kikuchi accédait ainsi au marché français. Je rigole toujours en lisant son nom car, j’ai déjà entendu des types disant qu’ils écoutaient de la Jpop depuis 1978 grâce à ce générique…
Autant Le Prince De l’Espace ne me fit pas grand-chose musicalement parlant, vu que je considère cette chanson comme la plus faible de ce trio de disques, et je ne parle même pas de la version d'Enrique, que dire de La Légende d’Actarus ? Elle restera sans doute ma chanson préférée de Goldorak. Peut-être que cela vient du fait qu'elle était le générique de début, et cette chanson voulait dire: "Goldorak est là, ça commence, enfin!" La musique de la joie hebdomadaire. Je l’ai écoutée, écoutée, écoutée… Et même encore maintenant. Si j’ai envie d’un peu de cornes jaunes dans les oreilles, outre les BGM, je lance de suite La Légende d’Actarus. Ce fut même l’un de mes premiers fichiers audio téléchargés en 1999, un format .wav allégé. Souvenir.
Par contre, la face B, Goldorak Et L’enfant, comment dire… Ben, c’est de la merde quoi ! Une espèce de jerk électronique improbable avec des paroles ridicules. Cette chanson me fout la honte quand je l’entends. Comme j'aurais préféré un instrumental !
Savelli ne reniera jamais ces génériques de dessin animé et on peut au moins lui accorder ça.
Mon père, c’était Brel. Mais ma mère, même si elle a toujours aimé Grand Jacques, eut une sorte d’engouement identique qui me permit de ramener toujours plus de disques dans ma chambre. A l’époque, elle sortait avec une de ses copines motorisée dans des supermarchés de banlieue un peu lointaine et, comme il était hors de question de me laisser seul à la casa, elle m’emmenait dans ses bagages... Les supermarchés, c'est autre chose que les petites épiceries de quartier, le choix est démultiplié. Et au milieu des courses, il arrivait qu’elle s'aventure au rayon des disques et se paye carrément un 33 tours de sa nouvelle idole éternelle, pour toujours et à jamais : Julio Iglésias. Ne riez pas! Toute bonne femme normalement constituée de la fin des années 70 a succombé au charme de cet hidalgo à deux balles qui tenait son micro comme on fait une fellation...
Il faut comprendre qu’il parlait à la femme qui était en elles et non à la mère de famille, ce qu’elles étaient par la force des choses 365 jours par an. La femme, elle, n’existait pas, plus ou si peu. Qu’elles étaient belles ou moches, Julio leur disait à toutes qu’elles étaient merveilleuses et ça marchait. Il comblait un vide béant en elles. Combien de nanas, mariées sans doute trop jeunes et déjà piégées dans une vie triste et morne à même pas 30 ans, avec les mômes d’un côté, parfois un boulot de l’autre, et un mari les regardant comme un meuble, sentaient qu’elles gâchaient leur jeunesse ? Julio leur apportait un réconfort sensuel sans avoir besoin de tromper leur conjoint et briser ainsi leur petite vie sans joie car, ce rien était tout pour elles.
Se sentant probablement coupable et, peut-être pour acheter mon silence, ma mère m’autorisait à choisir un disque avec le sien. Je n’allais pas refuser une telle occasion. Je profitais de la situation tout en restant dans les limites du raisonnable, m’accordant moins qu’un 33 tours mais plus qu’un 45. A chaque fois, je prenais un livre-disque du Petit Ménestrel, souvent des merdouilles du genre 1, Rue Sésame, Ernest et Bart etc. Je ne comprends pas bien pourquoi j’ai acheté ça à l’époque vu que je n’aimais pas du tout les Toccata et autre Mordicus. Quand même, c’était gonflé de ma part, y’en avait pour 20 balles à l’époque, alors que les prix des singles oscillaient entre 12 et 15 francs, mais ma mère ne disait rien.
Ceux qui me diront que j'exploitais honteusement ma maman, je leur répondrai que c’était aussi pour moi une façon de me rembourser des chansons baveuses de Julio qui allaient tourner en boucle les samedis matins de ménage…
Ma mère n’en est jamais revenue de ce mec. Même si elle admet désormais qu’il n’est qu’un cacochyme, ça reste quand même « Julio » pour elle.
Pour mieux savourer leurs disques de Brel, mes parents avaient acheté une nouvelle platine pour remplacer la leur qui n’avançait plus. Sur les conseils avisés du vendeur, ils jetèrent leur dévolu sur un appareil « France Electronique », et se firent logiquement arnaquer… J’ai retrouvé sur le Net une photo de cette platine. Envoyée à ma mère, sa réponse fut : « Quelle merde c'était ce truc ! » Texto.
A la même période, décembre 79 pour être précis, Dieu se manifesta à moi par le biais de deux cadeaux en même temps. Le premier fut le Goldorak Popy dans sa soucoupe et l’autre, le 33 tours « Goldorak comme au cinéma ». C’est l’un de mes plus grands souvenirs sur lui. Imaginez un gamin avec une coupe au bol, complètement fanatisé par le robot de l'espace, et qui joue avec la représentation ultime de son idole tout en écoutant le disque avec la voix de ses héros, les bruitages des armes et les chansons. Je demande comment je ne suis pas mort ce soir-là. Overdose de bonheur.
Le problème venait que ce disque était un 33 tours et mon mange-disque n'avait pas la bouche assez grande pour se le gaufrer. Il fallait donc passer par la platine parentale et elle était dans le salon, posée sur une petite table recouverte d'un merveilleux tapis de moumoute blanche… Ah ma mère et son bon goût naturel pour la déco !
Pour écouter mon gros disque, il fallait donc demander l’autorisation parentale. Mon père, quand il était là, s’en fichait mais ma mère appréciait moyennement de se fader pendant près de 40 mn les voix de Daniel Gall ou Pierre Guillermo...
Le déferlement de dessins animés japonais dans les années 79/81 accéléra encore la chose. Je commençais à avoir une sacrée belle collection de 45 tours pour un gamin de mon âge ! Deux versions différentes de Capitaine Flam, l'originale et celle chantée par Savelli, encore lui, San Ku Kai, Hulk par Noam, La Bataille Des Planètes, Albator 78, Ulysse 31 etc. Les classiques de toute une génération, la mienne.
Courant 81, une cousine plus âgée me donna la plupart de ses disques d'enfance. C'était surtout des livres-disques de la fin des années 60, avec les personnages de l'ORTF et aussi des fables de La Fontaine et autres contes de Perrault, souvent racontés par des cadors du style Jacques Fabbri. Mais ça me plaisait bien. J'en ai retrouvé récemment en brocante d'ailleurs, comme Colargol ou Kiri Le Clown.
Evidemment, il y eut des accidents de parcours. La tata Machin qui vous offre un disque épouvantable en croyant bien faire, et surtout, en se disant que les gosses ont tous les mêmes goûts. Erreur ! C’est comme ça que je me suis retrouvé avec, entre autre, le 45 tours de Rox et Rouky chanté par Dorothée ou carrément du Chantal Goya… Tous aux abris !
Inutile de préciser qu’ils n’ont pas beaucoup tourné dans le mange-disque et que certains, même, se transformèrent en projectiles amusants les soirs d’ennui... Vous avez déjà vu un disque éclater contre un mur? C'est beau.
C’est à ce moment là que se passa un événement. Ayant pris goût à la stéréo de la platine familiale, mes parents, et surtout ma mère, en eurent ras le bol de me la voir squatter et de leur imposer mes génériques de dessins animés à la con. A force, ça use, je les comprends. Alors, ils me la confièrent DANS MA CHAMBRE, avec une condition, s'ils voulaient écouter leurs disques, je devais être d'accord. J'acceptais. Certains ouikènes, je dus me fader une heure ou deux de Julio ou de Brel, sans parler de présences dérangeantes dans ma piaule, mais bon, le marché restait tout de même largement en ma faveur. L'électrophone, comme on l'appelait, était mien! Je devenais DJ! A moi la liberté de passer mes disques quand je le voulais et au volume que je voulais, enfin pas trop fort non plus...
Naturellement, tout ce bonheur ne dura pas et la platine commença à sérieusement yoyoter au bout d’un an ou deux. Pas parce que je la martyrisais mais tout simplement parce que c'était une merde. Le volume était toujours un soucis. Quand vous augmentiez le son, il y avait un bruit de craquement atroce qui résonnait dans les enceintes. Un problème électrique sans doute. Il valait mieux laisser le volume sur un niveau acceptable et ne plus y toucher.
Les rayures étaient aussi mes ennemies jurées. Avec un bras trop léger, je me mangeais le moindre défaut du disque, même neuf. Pour éviter ça, j’utilisais une ruse de sioux. Je posais sur la tête un truc un peu lourd comme une pièce ou un petit aimant. Ça appuyait sur le saphir et donc, la quasi-totalité des rayures passaient sans problème. La préhistoire.
Elle traversa le temps. D'enfant, elle me vit passer à l'adolescence. Mes disques de Goldorak furent remplacés par des tafioles new wave et autres mignonnes à visage de fouine... Les copains venant chez moi pouffaient à la vue de ce bidule archaïque. La plupart d'entre eux avait des chaînes HI-FI, qui étaient surtout celles de leurs parents, vous savez, avec le gros meuble vertical qui nous faisaient tous rêver. Certains avaient même une platine laser, énorme luxe à ce moment-là! Mon matos musical se composait de cet électrophone, d'un walkman de la taille d'un paquet de gâteaux et d'un radio-réveil à cassettes. Pour passer pour un con, c'était de première. 3615 code PAUVRE!
La délivrance arriva en 1987, date à laquelle je m’offris ma première chaîne HI-FI, une merde Amstrad en plastique mais c’était toujours mieux que ça.
Même si j'en achète en brocante, surtout pour me marrer et rattraper ce que je ne pouvais me payer au Prisunic du coin à l'époque, jamais je ne reviendrai au vinyle, j'ai trop souffert. Malgré ça, mes disques de Goldorak gardent un parfum rare. Celui de mon enfance.
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