Ayant fait toute ma scolarité en école publique, cela permettait, sans le vouloir, de doubler mes chances de croiser de véritables monstres de foire. Je n’ai pas été déçu.
Je classerai mes profs en trois catégories explicites.
Les tarés
On a tous eu un prof taré, et souvent plusieurs. Vivant dans son monde, ne comprenant pas tout, sujet à des crises, voire complètement halluciné, mais pas méchant, le prof taré est plus une source d’amusement qu’autre chose et celui dont on peut se souvenir le plus facilement, et parfois même avec plaisir bien des années après.
M. T. était un prof de maths et de physique. Grand, brun, lunettes, moustachu, 30 ans à tout casser, il était mon professeur principal en 6e et me rassurait car il ressemblait comme deux gouttes d’eau à un de mes oncles.
Etant la pire buse en mathématiques du monde, je craignais à chaque rentrée le pire, me voyant déjà tomber sur un sadique de première. Ça arriverait évidemment, mais pas avec lui puisque je découvris, avec le reste de mes camarades, que M. T. n’en avait rien à foutre de sa classe. Il faisait ses cours dans une ambiance digne d’un marché aux puces. Personne n’écoutait, tout le monde faisait autre chose (discutait, dessinait, riait…) et lui continuait à écrire au tableau ses chiffres et ses lettres tout en parlant dans le vide.
Devant ce manque d’autorité, et surtout ce je-m’en-foutisme assumé, il eut des problèmes avec des parents d’élèves d’autres classes, certains voulaient même le faire virer. Les braves gens. Il n’était pourtant pas méchant.
Il arriva un jour pourtant où il péta un plomb et coursa dans toute la classe un élève qui s’était foutu de lui avec, à la main, le compas géant du tableau... Sans doute que M. T. avait oublié de prendre ses gouttes ce matin là.
Mme L. était la seule prof de musique de mon collège. Il fallut attendre 1988 pour en voir arriver un second, et pas un marrant, et entendre ainsi les lamentations des anciens et autres redoublants qui regrettaient bien leur Mme L. Non pas parce qu’elle était sympa ou compétente, mais juste parce qu’avec elle, on était assuré de passer une heure tranquille.
Elle faisait partie de ces femmes qui font vieille même jeune. Probablement âgée de 45 ans quand je l’ai connue, on lui en donnait facilement 20 de plus. Son look très particulier ne l’arrangeait pas. Affectionnant les grands voiles et autres châles, chaussant en été des sandales dévoilant des pieds bouffés par la corne, elle portait sur sa vieille tête une épaisse tignasse crêpée blonde poivre et sel. Toujours affublée d’un énorme sac à main tenant plus de la caisse à outils qu’autre chose et semblant être en bois, munie d’une paire d’yeux écarquillés et d’un sourire haut perché donnant l’impression qu’elle était sous LSD, elle était le prototype même du prof qu’aucun élève ne prendrait jamais au sérieux.
Négligeant le peu de cours qu’elle voulait nous imposer, je n’ai jamais appris une seule note de musique avec elle, ce qui me ferait regretter mon attitude punk quelques années plus tard lorsque je me mis à tripoter des claviers. De toute façon, plus que l’enseignement du solfège, elle préférait largement nous faire chanter en canon en nous accompagnant avec son orgue aux touches aussi jaunies et ébréchées que ses dents. Une fois, elle tenta de nous faire chanter la Marseillaise. Allez demander ça à des ados, franchement… Peine perdue. Alors elle nous fila comme devoir de copier trois fois de suite les paroles. Exercice absurde. Ne voulant pas m’emmerder, je les copiais une fois puis ajoutais dessous « x 3 ». J’ai eu 0 évidemment.
N’ayant aucune autorité sur sa classe, votre serviteur, et d’autres, s’étaient spécialisés dans l’utilisation de ces tout juste 60mn pour faire tout et surtout n’importe quoi. Pour nous, c’était comme une heure de permanence. Du pillage des devoirs des autres pour le cours suivant en passant par l’échange de petits mots avec les copines voire carrément de monter sur sa table et de danser comme Andy McCluskey sous les applaudissements de ses camarades hilares, tout était permis et rien ne lui fut épargné. Se faire coller par ses soins était presque une récompense. J’ai le souvenir de deux heures de colle avec des potes à pleurer de rire tant nous nous amusions.
Un jour que j’étais déchaîné, et sans doute que j’avais dépassé sa limite acceptable, pourtant très large, elle exigea mon carnet de correspondance. Là, ça ne rigolait plus. Pendant que je tergiversais, usant d’arguments chocs pour éviter ce mot, comme quoi mes parents me priveraient de nourriture pendant quatre ans et aussi de regarder l’Académie Des 9, achevant ainsi de faire rire toute la classe, mon meilleur pote et voisin de table me dit en douce : « Tiens, prends le mien ! » Les binômes de potaches sont redoutables pour les profs. L’union fait la farce. Me saisissant de son carnet, je le donnais à la vilaine prof afin qu’elle inscrive noir sur blanc, à l’intention de mes parents, le détail de mon comportement déplorable.
De sa meilleure écriture, elle y écrivit que j’étais un fauteur de troubles pour la classe et que j’empêchais mes petits camarades d’étudier. Cette phrase allait très souvent revenir à mon propos…
Lorsqu’elle me le rendit, elle demanda de voir la fois prochaine ce mot signé par mes vieux.
La semaine suivante, elle vint à ma table et me réclama mon carnet pour y voir les dites signatures. J’attendais ce moment depuis 8 jours. Prenant un air étonné et offusqué, je lui demandais pourquoi et de lui répliquer, une fois qu’elle m’eut rafraîchi la mémoire, que cette histoire de mot n’était jamais arrivée. Elle devait rêver ou confondre avec un autre élève. Elle exigea mon carnet, de suite ! Quoi de plus drôle que ces faibles voulant jouer les durs ? Je le lui donnais, toujours en protestant de l’injustice de la chose. Elle chercha longuement son mot dedans, sans le trouver. Forcément. Elle se mit à hurler que j’avais arraché la page. J’avais tout prévu.
- Non madame, les pages sont numérotées et elles sont toutes là ! Vous pouvez vérifier. Je n’oserai jamais déchirer mon carnet, c’est un acte trop grave. Je vous dis que vous confondez avec quelqu’un d’autre ! Moi je suis sage en classe, j’étudie beaucoup et je vous respecte !
Elle compta donc les pages, elles étaient toutes là. Elle amorça un début d’explication comme quoi c’était un nouveau carnet mais non, il était fort bien rempli déjà… Dernière chance pour elle, j’avais effacé son mot. Et moi de poursuivre, toujours très relax :
- Au Tipp-Exx ? Il y aurait un gros pâté blanc. A l’effaceur ? Vous écrivez au stylo Bic non ? A la gomme bleue ? Ça déchire le papier. Vérifiez, mon carnet est immaculé, comme ma conscience. Je n’ai rien fait madame.
Complètement à côté de ses sandales, elle me rendit le carnet et s’en alla piteusement vers son bureau où il était inscrit depuis des années, sur le devant, au marqueur noir : « Ne pas donner de cacahouètes au singe derrière le bureau ! ». Je pense qu’elle a vraiment cru qu’elle perdait la boule sur ce coup là, qui fut un de mes coups de maître-potache. Mon pote, agité de violents spasmes, en a presque fait sous lui tant il s’empêchait de rire. A noter que, après lui avoir expliqué, il fit signé le mot par sa propre mère, que je connaissais et qui m’aimait bien. Cela la fit beaucoup rire elle aussi.
Mme L. était une prof d’anglais. Ce fut même la première que j’ai eue en 6e. Je la retrouverais en 4e puis en 3e. Contrairement à moi, elle n’avait pas changé depuis. Incapable de s’imposer, très naïve, gobant couleuvres sur couleuvres et ne voyant rien, elle se faisait toujours posséder par les élèves plus malins qu’elle, ce qui n’était pas dur. Combien de fois lui ai-je présenté mon cahier avec, comme preuve de devoir fait, une succession de mots anglais ne voulant rien dire et écrits 5mn avant ? Toute l’astuce était de lui montrer sans qu’elle n’en voit le détail mais qu’elle comprenne tout de même que la page était bien pleine, donc le devoir fait. Du bluff d’artiste.
Très limitée question patience et nerfs, elle perdait rapidement ses moyens quand sa classe foutait un peu trop le souk. Elle tapait du pied comme une malade sur l’estrade en criant : « Non non non ! J’en ai maaaaarre ! Ça suffiiiiiit ! » Une fois même, elle s’en alla pleurer contre l’armoire. Le calvaire de ces profs poussés à bout…
Syndicaliste à mort, elle nous distribuait régulièrement tracts et invitations à destination de nos parents pour venir défiler avec elle les jours de grève. Les lendemains de manif, elle nous racontait parfois, avec beaucoup d’exaltation dans ce qui lui restait de voix, qu’elle avait tapé sur un tambour en braillant des slogans engagés...
Un matin, un des élèves de la classe (j’étais en 3e), déchira à grand bruit la petite enveloppe d’invitation qu’elle venait de nous remettre à chacun. Elle le vit et cela la mit en colère. Elle commença à dire que c’était pour nous et nos parents qu’elle s’en allait défiler et qu’ils feraient mieux de venir tous. Le déchireur lui répliqua que nos parents bossaient et qu’ils avaient donc autre chose à foutre. De plus, lorsqu’ils avaient des problèmes dans leur job, ce n’était pas les profs qui allaient les soutenir ! Un tonnerre d’applaudissement ponctua ces phrases simples et bien senties et la pauvre prof de devenir rouge, encore, mais de rage cette fois.
Mme D. était une prof de français, la dernière que j’ai eu en 3e. Maigre, sèche, déshydratée, cheveux décolorés blond-blanc et presque en brosse façon Spagna, la quarantaine bien entamée, les sourcils rasés et (mal) redessinés au crayon, elle était pénible et avait une voix donnant des envies de meurtre. De par mon comportement, elle me détestait mais savait quand même rester objective puisque je décrochais à chaque trimestre, et de loin, la meilleure note de rédaction de la classe et tout ça sans me fouler. C’est ce qui m’autorisait, je pense, à animer à ma façon chacun de ses cours quitte à ce qu’elle l’écrive ensuite sur mes trimestres :
Imaginez la tête de mes parents devant ces quelques lignes…
Le lundi matin, nous démarrions avec elle, et en fanfare, puisque c’était dictée. Nous poussions tous en chœur un soupir qui en disait long sur notre ennui. Cet ennui qui résume bien toute ma scolarité, avec des cours inintéressants, des profs ne sachant pas les rendre vivants et attendant comme nous que la cloche sonne. Pour le tromper, avec trois copains, nous faisions des concours à celui qui ferait le plus de fautes dans le texte. On s’amuse comme on peut. Comme une « team » improvisée de sous-titreurs de séries, nou ékrivion com sa, ce qui portait chacune de nos dictées à plus de 70 fautes par texte en moyenne. Un matin, la prof dicta la phrase : « l’ambiance était très gaie ». F., l’un de mes potes, écrivit « gay », et comme il l’était en plus, cela lui paraissait encore plus normal de l’orthographier de cette façon. Le lundi suivant, elle rendit les copies et fit un aparté en riant à moitié, un peu gênée, en disant que quelqu’un avait écrit le mot « gaie » d’une façon peu orthodoxe… F. se mit à hurler de rire en disant tout fort : « Mais qu’elle est con celle-là ! »
Elle trimbalait toujours avec elle un sac fort garni qu’elle déposait au pied de son bureau et où dépassait parfois de l’étoffe blanche ressemblant à de la dentelle. Cela nous intriguait fortement. Etait-ce sa robe de mariée ? Devant tant d’interrogations, il nous fallait une réponse et elle vint d’un mec de la classe qui se leva pour carrément aller fouiller dedans pendant qu’elle avait le dos tourné. N’étant pas très discret, il se fit gauler par la prof qui fut outrée et l’expédia violemment, ce qui est compréhensible. Mais nous avions enfin la réponse ! Ce sac contenait des chaussons et autres collants de danse. Sans doute qu’après la classe, elle se rendait à un cours de gym tonic ou assimilé. Comme aurait dit mon père : « Elle n’est pas fatiguée de sa journée de boulot celle-là ! »
Son attitude de prof pète-sec attira des haines. Un ancien pote l’ayant également me racontait que sa classe était une véritable zone de guerre avec elle. Dès qu’elle avait le dos tourné, tout le monde lui lançait quelque chose. A chaque fin de cours, il y avait sur l’estrade des dizaines d’énormes boulettes de papier, du pain et autres objets indéterminés. Une pile s’écrasa même sur le tableau, juste à côté de sa vieille tête décolorée. Ça devenait dangereux pour elle.
Notre propre classe n’était pas violente mais le chahut y était constant. Nous papotions comme des bignoles et produisions quantité de bruits improbables, comme des hurlements de douleur, des rots bien gras ou « la jungle » comme nous appelions ça. Dès qu’elle se retournait, chacun y allait de son bruitage sauvage, des cigales en rut au vent dans les feuilles jusqu’au singe devenant fou. Je la revois un après-midi comme ça, assez démoralisée car ayant compris que nous ne nous arrêterions jamais, et de nous dire d’une voix lasse : « Et vous vous croyez malins ? »
Un jour, elle se décida à agir. Ayant constaté que chacun s’asseyait avec qui, et comme il le voulait aux tables, elle organisa un tirage au sort. Le hasard déterminerait pour le reste de l’année notre voisin(e). Sans doute pensait-elle que briser les groupes de potaches résoudrait tout. Chacun confectionna donc un petit bout de papier avec son patronyme dessus et le mit dans une ancienne boîte de Kleenex en carton. C’était la tombola. Devant le ridicule de la chose, il fallait intervenir. Il y eut bourrage d’urne et près de 60 petits papiers se retrouvèrent dans la boîte alors que nous devions être 28 ou 29… Ceux avec des noms de stars, comme Carl Lewis, John Wayne ou Goldorak, furent facilement repérés par la prof, mais pas ceux avec des noms et prénoms imaginaires réalistes. Un élève se retrouva associé à « George Abdullah ». Et Mme D. de demander : « Où est George ? Il est absent aujourd’hui ? » Nous nous décrochions la mâchoire de rire devant sa connerie profonde.
Le lycée fut aussi une source d’enseignants bien allumés. M. C. était un prof de dessin industriel d’une cinquantaine d’années. On l’avait trois heures d’affilée pour démarrer la semaine et ce n’était pas choupi. A son visage cramoisi, nous comprîmes assez vite à qui nous avions affaire. C’était un vieux poivrot qui devait se soûler la gueule tout le weekend et en avait encore des émanations le lundi matin. Il nous le confia d’ailleurs à la fin de l’année, en nous déclarant que le calva, c’était son truc…
Dès le premier jour, il tenta de s’imposer en passant en revue le matériel de chacun exigé pour son cours. J’avais un critérium 0,6 pourtant tout neuf, mais pas à la bonne taille pour lui, exigeant du 0,5. Il me colla donc un devoir supplémentaire en guise de punition en attendant que j’en achète un autre. Il en était hors de question. Lors de la seconde inspection, j’empruntais celui d’un copain, un 0,5, et je fis toute mon année avec mon 0,6 ce qu’il ne remarqua jamais, illustrant bien là toute la connerie de ces enseignants. Dans une autre classe où j’avais une connaissance, on me raconta que M. C. fit la même chose, mais au lieu d’une punition, il mit carrément le mauvais crayon d’un élève dans la poubelle à côté de son bureau. L’élève furax se leva, prit la trousse du prof et la mis aussi dans la poubelle…
Presque à chaque cours, il cherchait la bagarre avec nous. Il fallait qu’il boxe, c’était plus fort que lui. Chacun y eu droit dans la classe. Quand ce fut mon tour, il me dit tout le bien qu’il pensait de moi, comme quoi j’étais l’exemple type de l’élève arrivant le dernier et repartant le premier, ce qui me fit beaucoup rire intérieurement. C’était tellement ça en plus. Il attendait sans doute que je réponde, outré, et qu’ainsi s’engage une joute verbale où il serait de toute manière le vainqueur car les profs ont toujours raison sur leurs élèves, même quand ils ont tort. Peine perdue. Je savais que c’est ce qu’il désirait le plus. Je ne dis donc rien et encaissais sans broncher avec un petit sourire en coin tant il m’amusait. J’avais 16 ans et ma personnalité était faite. Ce n’était pas lui qui allait me faire pleurer. Il se lassa bien vite de mon attitude digne d’un sac de farine et s’en alla à la recherche d’un véritable sparring partner qui saurait répliquer, lui donnant ainsi son content de gnons. Des gnons verbaux évidemment. Pourtant, un matin, dans ma classe, il se battit réellement à coups de poing avec un élève. C’était inévitable. Son comportement fit qu’il eut toute l’année les pneus de sa voiture crevés.
Les sales cons
Les profs « sales cons » ne sont pas foncièrement mauvais au sens propre du terme mais ce ne sont pas des gens bien tout de même. Ils ont souvent une très haute opinion d’eux-mêmes et prennent leurs élèves de haut ou carrément pour de la merde en leur faisant bien comprendre la chose.
Classe de 4e. Deuxième langue vivante, espagnol. Dans ma juvénile connerie, je pensais que ce serait facile, que c’était comme le français et qu’il suffisait simplement de mettre des « o » et des « a » à chaque fin de phrase… Hélas, c’était plus compliqué que ça. Vu les tonnes de verbe à apprendre et surtout la sonorité EXTREMEMENT désagréable de cette langue à mes oreilles, je larguais l’affaire en moins de deux mois et décidais de ne plus me faire chier à tenter de l’apprendre. C’est là que je compris que j’aurais dû faire de l’allemand. Certains me diront que, question sonorité, l’allemand, c’est pas non plus génial. Je ne suis pas d’accord. L’allemand est une langue martiale et puissante, on donne des ordres avec et tout le monde obéit. L’espagnol, c’est juste bon pour vendre des piments au bord des routes.
Pour nous enseigner la langue de Franco, nous avions Mme I. Dans le dico, au mot « radasse », on aurait pu mettre sa photo en guise de définition. Peut-être 40 balais, le visage luisant de crème grasse, maquillée comme un carré d’as, coiffée et décolorée « jeune » alors qu’elle n’avait plus l’âge pour ce genre de coupe, fringues chicos, parfois un futal en peau de vache moulant un cul plat et flasque, des tas de colliers clinquants et autres rangs de perles, puante de prétention et de parfum de luxe, elle me parut de suite antipathique.
De part son look de semi prostituée, elle attirait l’œil de quelques gugusses du collège, élèves comme profs, mais ils n’avaient aucune chance. Elle n’aimait que les femmes et toute l’école savait qu’elle rejoignait son mari à chaque récréation, une prof de maths très masculine, clone de Gianna Nannini.
Du fait que j’avais décidé que je foutrais plus rien dans son cours, ou juste le minimum syndical, en trichant un maximum, et que je ne masquerai même pas ma mauvaise volonté, la señorita I. m’apprécia autant que je l’appréciais. Et il arriva ce qui devait arriver.
Un jour qu’elle m’interrogeait sur une leçon que je n’avais pas apprise, je la fixais d’un air intrigué en ne disant rien. Elle réitéra sa question, toujours en espagnol. Cette langue était vraiment trop insupportable pour moi, alors je lui demandais de me parler en français, histoire que je pige ce qu’elle me demandait et que, peut-être, je puisse lui répondre. Ce fut pour elle la goutte de Chanel qui déborda de son flacon et elle me répondit que « je gâchais mon avenir et que je finirai probablement sous un pont ». Cette phrase m’a beaucoup choqué sur le moment. Quel est l’intérêt de balancer ça à un ado ? Dire que j’étais une brelle, pas de problème, mais ça, c’était juste de la méchanceté gratuite. Je lui répondis d’une manière fulgurante qu’elle n’avait pas à me dire ça car si elle était coincée dans ce bahut minable, c’est qu’elle n’avait pas le niveau pour enseigner plus haut et que, contrairement à elle, moi mon avenir était encore devant moi ! Il y eut un silence de mort dans la classe. La prof changea de couleur. Sa gueule huileuse masqua difficilement son malaise, seule une grimace de haine transpira de ses pores noyés par la graisse de baleine, mais elle ne fit rien du tout en représailles immédiates ce qui m’étonna fortement. Je me voyais déjà avec un mot sur le carnet ou aller chez la conseillère d’éducation. Sans doute que j’étais trop vieux pour tout ça. J’étais en 4e et ce genre de chose n’impressionne que les élèves de 6e et de 5e. Après, c’est fini.
Je me disais qu’elle se vengerait bien un jour et j’avais raison puisque, lors du premier conseil de classe, qui se passa très peu de temps après cet incident, elle demanda un blâme de conduite pour moi et fit tout pour que je l’aie. Peine perdue. Je ne reçus qu’un avertissement de conduite doublé d’un autre de travail. J’étais habitué, j’en avais quasiment à chaque trimestre. Même mes parents ne disaient plus rien. On s’habitue à tout. Better chance next time mala vida.
Mme G. reste un souvenir gourmand pour moi. Affublée d’un nom comique, nous découvrions cette jeune prof de physique-biologie lors de ma seconde 5e. C’était sa première année d’enseignante. Nouvelle et handicapée patronymique, elle aurait dû faire profil bas si elle avait été intelligente. Hélas, elle était bête et tenta de nous dominer et de s’imposer. Le rapport de force, ce n’est pas la bonne solution. Des ados respecteront toujours plus un prof sympa et humble qu’une tête de con voulant se la péter.
Elle était presque malfaisante mais ne m’a jamais rien fait personnellement. J’assurais bien en biologie et je trichais pour la physique, alors ça allait. Mais nous avions dans la classe un pauvre gars, A. Originaire du Cameroun, il venait tout juste de débarquer en France et créchait dans le minuscule appart d’un oncle qu’il nous fit visiter un après-midi et qui tenait plus du taudis qu’autre chose. Faute d’argent, il n’avait jamais les bonnes affaires et très peu de matériel. Un jour, il rendit un devoir sur des petits bouts de carton alimentaire faute d’avoir des feuilles. J’appris qu’il était suivi par l’assistante sociale de l’école, ce qui en disait long.
Mme G. le prit en grippe. Racisme primaire ou besoin de latter quelqu’un de presque à terre ? On n’a jamais su. Toujours est-il qu’elle ne le lâchait pas. Mauvaises notes à répétition mais surtout brimades sans relâche, presque du harcèlement. Pour elle, A. était toujours stupide, toujours nul etc. Tout le monde avait remarqué le comportement scandaleux de cette prof avec cet élève déjà pas très gâté. C’était dégueulasse. Lui ne disait rien et encaissait. C’était lui qui faisait profil bas. Par chance, tout se paie dans la vie. Et le hasard voulu que ce fut moi qui ai l’honneur de détruire cette prof nuisible.
A la fin de l’année, des inspecteurs se sont pointés pour évaluer Mme G. Elle jouait sa titularisation. Et c’est nous qui héritions du rôle de la classe-témoin. Un ou deux gradés de l’Education nationale entrèrent et se présentèrent à nous. Ils nous expliquèrent rapidement qu’ils allaient passer à quelques tables, les fameux établis en carrelage blanc avec le bec de gaz au coin et parfois un évier-robinet, pour discuter un peu avec nous de ce que nous avions fait cette année avec cette prof. Il fallait voir le comportement de Mme G. Froide et méprisante toute l’année, elle fut brusquement chaleureuse et adorable avec toute la classe pendant que les inspecteurs étaient là. Au bal des hypocrites, elle allait danser toute la nuit celle-là !
Arrivant à ma table, que je partageais avec un mec pas très fut-fut mais sympa, l’inspecteur, un clone de Tom Bosley, nous questionna. Parlant pour deux, je pris mon meilleur profil de l’innocent que l’on croit sur parole et j’ai dit non à presque tout ce qu’il nous énumérait. « Ah ben non, ça on l’a pas fait ! Ça non plus ! Pas vu ! Non ! La sonnette ? Nan, pas fait ! » etc. C’était faux, on en avait fait au moins la moitié. Nos cahiers en témoignaient mais il ne les ouvrit même pas. L’inspecteur fut halluciné de mes « sincères » réponses, nous disant que ce n’était pas normal. Il nota tout ça et repartit dans son coin.
Le cours se termina et tous les élèves quittèrent la classe. Ce fut la dernière fois que vous vîmes Mme G. puisque nous sûmes dans la journée qu’elle avait fait une crise d’hystérie en apprenant qu’elle avait été recalée et non titularisée. D’ailleurs, sur les quelques semaines qu’il restait avant les grandes vacances, elle ne revint pas au collège, soignant sans doute ses petits nerfs. Comme ce fut doux.
Près de 30 ans plus tard, je reste persuadé d’avoir été l’artisan de sa chute et j’en éprouve encore aujourd’hui une grande fierté. S’acharner sur des faibles, c’est comme aller casser la gueule à un amish, on ne risque rien et c’est la plus grande lâcheté au monde. Ça mérite d’être puni. Et durement.
Les malfaisants
Catégorie noire, les malfaisants sont ces profs qui détruisent sciemment certains de leurs élèves et y prennent du plaisir. Ils font des victimes à chaque génération.
Mon premier prof malfaisant fut découvert à l’école primaire, en CM1. Mme R. brisa ma vision des institutrices que j’avais presque portée aux nues de par mon CP. C’est avec elle que le sens du mot « injustice » me fut révélé et que j’ai goûté pour la première fois à la haine envers un enseignant.
Mme R. était corrompue. Elle se faisait rincer par certains élèves à coups de fleurs et de chocolats, ce qui ne devait pas arranger son tour de hanches déjà fort volumineux… Ces cadeaux n’étaient pas spontanés. Les fayots qui les amenaient ne faisaient qu’exécuter ce que leurs parents, probablement anciens fayots eux-mêmes, leur disaient de faire. Je découvris avec le temps que ces gens-là étaient bien souvent délégués des parents d’élèves.
En plus d’être ouverte à la corruption passive, c’était également une instit’ lamentable. Son truc préféré était de nous faire faire de la copie tout l’après-midi. Nous prenions notre livre de l’année, « L’Île Rose », bouquin des années 20, grotesque au demeurant, et en avant pour des dizaines de pages à recopier, et EN SILENCE ! Pourquoi ? Pour rien. Enfin si, pour avoir la paix sans doute. Pendant ce temps-là, Mme R. reposait ses jambons ou corrigeait ses copies au lieu de le faire à la maison...
Elle distribuait également claques à la chaîne selon son bon vouloir. Nous étions au tout début des années 80 et, les châtiments corporels avaient beau être bannis depuis un certain temps, ça se pratiquait toujours plus ou moins même si nous étions assez loin de ce qu’avaient pu subir nos parents. J’y ai eu droit, comme la majorité des garçons de la classe d’ailleurs. Très rarement les filles. A la moindre déconnade, faute ou oubli, paf ! Elle avait une méthode bien à elle pour ça. Elle vous appelait à son bureau, prenait votre visage entre ses deux mains aux doigts boudinés, vous caressait les joues une fois ou deux puis les ouvraient en grand et les refermaient violemment dessus, comme on écrase une mouche. Plus que la douleur cuisante, c’était l’humiliation de se faire baffer comme ça devant tout le monde qui était la pire souffrance. J’appris bien des années plus tard, et de sources sures, que Mme R. était régulièrement dérouillée par son alcoolo de mari. Il lui arrivait même de se pointer le matin à l’école complètement bleue des coups reçus la veille. La voilà la raison pour laquelle elle nous cognait ! Il fallait qu’elle se venge de sa vie minable et des hommes en général. C’était sans doute plus facile de nous claquer le beignet que de quitter son bonhomme.
Mais pire que les copies usantes et stériles ou les baffes en stéréo, ce que je garderai comme le plus mauvais souvenir de cette instit’, c’est le fait qu’elle m’ait volé ma victoire.
Mi 82, une opération de la prévention routière se déroula dans notre école. Toutes les classes de CM1 étaient concernées. Il y aurait une sorte de test un matin sur le code de la route et le meilleur élève de chacune des classes testées se verra le droit de conduire sur un parcours, avec un accompagnateur, une voiture, une vraie ! J’étais au courant de tout ça depuis longtemps puisque le parcours se trouvait sur les allées juste en bas de chez moi. J’avais vu s’installer grand chapiteau et petites voitures, des Citroën Visa. Tout cela nous faisait saliver.
Le matin du test arriva vite. J’ai le souvenir de diapos présentées et de cases à cocher pour la réponse. Comme le code quoi !
Peut-être une semaine plus tard, les résultats tombèrent. Mme R. annonça que le meilleur élève de la classe sur ce test n’était autre que… moi ! J’en fus le premier surpris vu que je me situais dans la moyenne des élèves question notes et classement à la fin de l’année. Pas vraiment une tête donc. Mais là, j’étais bel et bien le N°1 avec un score de 29 points. La Visa était à moi. Je sentais déjà les pédales sous mes pieds et le volant dans mes petites mains. Hélas, c’était sans compter sur Mme R. Elle décida d’accorder arbitrairement 3 points de plus à l’élève classée seconde et qui avait fait 27 points. Cela porta son score à 30. Elle était devenue N°1, c’est elle qui conduirait la bagnole en bas de chez moi et je l’avais dans le cul. Imaginez mon désarroi.
Pourquoi 3 points de plus ? Parce que cette élève était l’une de ces fayottes qui approvisionnait très régulièrement Mme R. en bouquets et autres douceurs. Et sans être parano, je pense que cela lui faisait grandement plaisir de me priver de ma victoire. J’ai toujours eu le sentiment qu’elle me détestait, je n’ai jamais su pourquoi d’ailleurs. Je ne foutais même pas le bordel à ce moment là, croyant encore à toutes ces conneries de bonnes notes pour avoir plus tard « un bon travail et un bel avenir »… Sans doute que ma coupe au bol ne lui revenait pas. On était pourtant nombreux à en avoir une dans la classe…
Ce qui me sidère maintenant, c’est la passivité à laquelle j’ai réagi. Je n’ai rien dit, je ne crois même ne pas en avoir touché un mot à mes parents. La prof avait parlé, il n’y avait qu’à s’écraser. Sans doute que j’appliquais l’éducation de ma mère : « Ne rien dire pour ne pas se faire mal voir ! » Bref, se laisser marcher dessus en souriant… Mon adolescence explosive m’a sauvé là-dessus.
Je n’ai jamais oublié cette injustice, ni cette institutrice. Je l’ai revue dans une rue de ma ville voilà près de 20 ans de cela et nous nous sommes bien reconnus lorsque nos yeux se sont croisés. La haine était intacte des deux côtés. Je me suis toujours promis que le jour où j’apprendrais son décès, je me ferai un bon gueuleton.
Mme D. était une prof de maths. Je l’avais en soutien d’une heure un lundi matin sur deux en 6e. C’est un de mes pires souvenirs d’école. Le meilleur moment avec elle, c’est lorsque je quittais son cours et que je me disais que je ne la reverrai que dans deux semaines. Une délivrance. J’avais sauvé ma peau. Mais le temps passe vite et le lundi fatidique revenait toujours bien trop rapidement. Comme je l’avais en première heure pour entamer la semaine, la machine à angoisse démarrait dès le dimanche soir. Je sentais un ciseau glacé me découper les tripes.
Je me revois en hiver, tôt, le jour pas encore levé, marchant sous la lumière orange blafarde des alignements de réverbères pour me rendre à l’école. Résigné, les yeux baissés, je voyais mon ombre s’étirer au fur et à mesure que j’avançais pour s’effacer puis se dédoubler dès que je passais sous un autre néon public. J’avais l’impression que mon âme me quittait. Je me sentais en danger de mort, littéralement. C’était comme si je montais à l’échafaud. D’ailleurs, c’était ça. Tous les 15 jours, j’étais condamné à la peine capitale, j’attendais mon exécution pendant une semaine et le lundi suivant, j’étais guillotiné.
Mme D. amplifiait sa laideur naturelle par un look de bibliothécaire des années 70. Une queue de cheval attachant des cheveux gras et ternes, de grosses lunettes, des chemisiers ou T-shirts blancs informes pas repassés, parfois tachés, des jupes noires tentant de cacher un cul de percheron, et une tronche jamais maquillée où l’humour, et probablement l’amour, étaient totalement absents.
Son plaisir était de harceler les nuls en maths et de les faire chuter avec des questions-piège. Le genre, combien de fois X est-il contenu dans Y ? Etant infoutu de répondre à ce genre de truc, j’étais rabaissé devant tout le monde et régulièrement puni. Ses punitions consistaient à des copies de tables de multiplication.
- Tu me copieras 100 fois la table des 7 pour la semaine prochaine ! Comme ça, peut-être que tu la sauras !
Ça c’est de la pédagogie ! Quasiment à chaque cours, j’y avais droit. De retour chez moi, je copiais ça machinalement, tristement. Encore aujourd’hui, j’ai du mal à savoir si 7x7 font 49 ou 56…
Mais le fait que je perdais mon temps de libre, tout en me chopant des crampes à la main, à écrire sur les tables ne suffisait sans doute pas à son bonheur et elle passa au stade supérieur en me collant claques derrière la tête et autres arrachages de poils. Vous savez, les pattes devant les oreilles. On les chope à la racine avec le pouce et l’index et on tire vers le haut. Ça fait TRES mal ça. Elle me la fait plusieurs fois. Je gueulais de douleur et ça semblait lui faire du bien. Il était clair que cette bonne femme avait d’énormes problèmes. Ce serait aujourd’hui, parité oblige, je lui casserai la gueule comme si c’était un homme, mais je n’avais que 10 ans et demi, je sortais tout juste de l’école primaire et n’étais pas prêt à affronter quelqu’un d’aussi mauvais.
Tout cela date de 1983/84, et malgré le peu de cours que j’ai eu avec elle, je n’ai jamais oublié cette pourriture et le mal qu’elle m’a fait. Elle contribua à ma haine absolue et éternelle des maths, matière (fécale) synonyme de tourments, de souffrances et d’humiliations permanentes pour moi. J’espère qu’elle est morte depuis, d‘une maladie bien méchante et qu’elle a longuement souffert avant d’y passer. Et je suis soft là.
Mme M. était une prof de sport. Une bonne quarantaine d’années, un casque de cheveux blonds décolorés, une tronche de canne, un cou de poulet, affublée du même jogging intégral toute l’année, un truc semblant tricoté main, vert kaki quand je l’ai connue puis beige à la fin de ma scolarité dans ce collège, cette enseignante était aussi sportive que moi. Un après-midi qu’elle nous sommait de grimper à la corde lisse, en nous disant que c’était facile et que nous étions tous des faignants, un couillu de la classe lui demanda de montrer l’exemple. Elle répliqua sèchement qu’elle avait arrêté depuis longtemps « de jouer les clowns devant les élèves ! » Texto. Désolé mémère mais avec un tel jogging, tu es un clown toute l’année !
Son truc favori était de nous faire faire de l’endurance. Vous savez, courir en rond dans la cour comme des idiots jusqu’à épuisement total. Très utile pour avoir quasiment une heure de repos pour elle ! Nous en sortions crevés et tout transpirant. Je détestais ça. Ce qui fait que je me cachais derrière un arbre ou marchais le plus souvent, et je me ramassais des sales notes. Mais qu’importe ! Mes parents s’en foutaient du sport et je préférais ça plutôt que de puer la sueur ensuite. Quand nous débutions la matinée par « EPS » comme on disait à l’époque (Education Physique et Sportive), le reste de la journée était difficile, encore plus pour ceux qui ne rentraient pas le midi.
Le seul sport pratiqué par Mme M. était la chasse aux pétasses qui fumaient dans les vestiaires. Une tradition adolescente pourtant. Elle distribuait heures de colle et autres mots sur le carnet de correspondance à toutes celles qui se faisaient prendre en flag’. Ça ne devait pas être simple à expliquer le soir à ses parents ça… Un jour pourtant, avec une camarade, nous pénétrions dans sa loge pour lui ramener le carnet d’absence qu’elle avait oublié de signer le cours d’avant et nous la vîmes en train de fumer une blonde avec, juste au-dessus de sa tête, un panneau « DEFENSE DE FUMER ». Le contraste était saisissant. Elle comprit que, comme ses poumons, elle venait de se faire griller et tenta d’éteindre l’incendie en écrasant de suite sa clope dans un petit cendrier en verre qu’elle avait sans doute ramené, tout en disant piteusement : « Je ne devrai pas fumer ici… » J’aurais dû exploiter ça à l’époque mais c’était lors de ma première 5e. Elle me fichait plus ou moins la paix. Redoublant, je la retrouvais l’année suivante, en prof principale en plus, et c’est là qu’elle fît de moi sa cible prioritaire.
Le gosse apeuré que j’étais en 6e s’était blindé. Je faisais ma crise d’adolescence avec fureur. J’étais devenu ce genre d’élève qui répondait aux profs en utilisant l’humour, l’ironie et le sarcasme. Je les prenais carrément pour des cons en souriant. Ça les rendait encore plus dingues que de les insulter pour de bon. Exemple. Un jour, avec cette prof, elle nous distribua des feuilles pour inscrire nos scores après quelques épreuves ou je ne sais plus quoi. Il fallait mettre son nom et prénom en haut. D’humeur comique ce jour là, j’inscrivis simplement : « moi » dans la case. Quand elle releva les feuilles et qu’elle les passa en revue, elle demanda, pas contente, qui avait écrit : « moi ». Je levais la main et dis : « Moi ! » Toute la classe éclata de rire, mais pas la prof. C’est avec ce genre de nazerie, multipliée à l’infini, que je devins son homme à abattre. Comme elle me l’avait dit : « Jamais tu ne passeras en 4e ! » Elle en faisait une affaire personnelle et, en tant que prof principale, elle avait de solides arguments pour me dégager et me faire entreprendre ainsi un merveilleux CAP, CPPN, CPA et autres 4e technologique, toutes ces voies de garage ne menant à rien, qui ont détruit des avenirs d’élèves avant l’heure, et dont le seul but était d’alléger les collèges et de les débarrasser des fouteurs de merde mais aussi des rêveurs et autres semi-autistes.
Il ne faut pas croire que j’étais le seul à subir son prosélytisme là-dessus. D’autres y eurent droit également et dans les mêmes proportions. A croire qu’elle touchait sur chaque conversion ! Cela marcha chez certains, comme pour S., une fille de la classe. Mme M. lui rabâchait sans arrêt que ses notes étaient trop faibles pour passer en 4e et que c’était pour elle la meilleure solution. A force de taper sur un clou, il finit par rentrer. S. se laissa convaincre et, avant même la fin du 3e trimestre, elle entreprit les démarches pour se lancer dans un CAP dès l’année suivante. Pour elle, son sort était réglé. Mais d’autres faisaient encore de la résistance. Pour moi, ces orientations étaient synonymes d’échec scolaire total. Je savais qu’on y envoyait que les cassos. Il était hors de question pour moi d’aller là-dedans. J’aurais préféré encore tripler. Devant mon refus, la pression se fit encore plus grande. La phrase préférée de Mme M. sur mes trimestres était : « Songez à votre avenir ! ». Ça sentait mauvais. Il fallait réagir.
Le 3e trimestre se terminait et je m’étais réveillé les dernières semaines question boulot. Le bilan était là, j’avais la moyenne quasiment dans chaque matière. Armé de ces presque bonnes notes, et protégé par ma prof de français qui croyait en moi et m'encourageait, je pus échapper au sort peu enviable que Mme M. m’avait réservé dès le début de l’année.
Nous étions en fin d’après-midi, le conseil de classe venait tout juste de se terminer et le stress était intense pour moi, mon avenir se jouait là. C’est justement ma prof de français qui m’annonça la bonne nouvelle en sortant du collège et ce fut comme de mettre une soupape à une cocotte-minute sur le feu depuis des heures. Un soulagement incroyable. La raccompagnant jusqu’à sa voiture, une Renault 5 orange toute pourrie, je la questionnais sur la réaction de Mme M. lorsqu’elle sut que, malgré tous ses efforts pour m’en empêcher, je passais tout de même.
- Olalala, elle n’était vraiment pas joice !
Je l’avais vaincue. DTC vieille salope !
Rentrant finalement à la maison, afin d’annoncer la nouvelle à ma mère qui devait stresser autant que moi, je vis S. recroquevillée dans un coin. Elle pleurait à chaudes larmes et se faisait réconforter par ses copines. J’appris que Mme M. venait de lui dire que, finalement, ses notes auraient été suffisantes pour la faire passer en 4e. Si ce n’est pas de la dégueulasserie pure ça…
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