De la maternelle, nous passâmes à l’école primaire, où je le perdis de vue, puis au collège. Là non plus, pas de traces de Jean-François dans mes classes, mais il m'arrivait de le voir à la sortie ou tout simplement à la récré et il n’avait pas changé. C’était même de pire en pire. Il avait désormais sa petite cour de fidèles larbins et même un souffre-douleur attitré, que je connaissais aussi depuis la maternelle. Le pauvre gars se faisait régulièrement humilier devant tout le monde, et parfois même tabasser, par Jean-François qui, visiblement, y prenait un très grand plaisir. Ça se voyait à ses petits yeux, une sorte de lueur sombre couvait dedans.
Je n’étais pas tout seul à penser ça de lui. Autour de moi, les quelques personnes l’ayant également connu étaient tous d’accord pour dire que Jean-François était quelqu'un de mauvais dans le sens le plus explicite du terme. Son obsession de la domination faisait qu'il ne pouvait fréquenter des gens ayant un minimum de caractère sous peine de conflit. Il n'attirait donc que les masos, chiens en quête d’un maître et autres satellites perdus à la recherche d’un soleil pour y tourner autour.
Il draguait comme il se faisait des amis : à l’agression. Verbale et physique. Je le revois encore mettre des beignes à des filles qui passaient simplement à côté de lui. Sans doute était-ce sa seule façon de leur dire qu'elles lui plaisaient. Un vrai connard.
Un lundi matin, entre 1986-87, je ne sais plus quelle année exactement, juste avant d’entrer en classe, tout le collège était en ébullition. Ça bruissait plus que d’habitude et les quelques propos recueillis ça et là laissaient à penser que quelque chose d’inhabituel, voire de grave, était arrivé. Par le jeu du téléphone arabe, nous fûmes assez vite mis au parfum, et la nouvelle était plus que surprenante : Jean-François était mort. Il s’était tué pendant le weekend à la campagne. Accident de mobylette. On disait qu’il avait voulu jouer les cascadeurs, avait littéralement décollé et, comme toujours, la gravité avait eu le dernier mot.
Et c’est là que tout a changé. En quelques secondes, de connard patenté, Jean-François est devenu un saint. Tout le monde le regrettait. La moindre personne qui l’avait approché y allait de son couplet positif sur lui, qu’il était quelqu’un de bien, de sympa, qu’il allait manquer à tous. A les écouter, c'était une véritable perte pour l'humanité. Etait-ce bien du même mec dont ils parlaient ?...
Des nanas qui ne le connaissaient pas chialaient en choeur, mouchoirs gluants à la main. Même son souffre-douleur le regrettait, alors que la semaine précédente, je l’avais encore vu se faire démonter par son « cher ami » Jean-François qui lui mettait, en riant, de violents coups de pieds dans le cul…
Au milieu de ce concert de pleureuses, il y eut une petite voix dissonante. La mienne. Je rappelais que, bien que toute cette histoire était triste pour lui et ses parents, et que, même si personnellement il ne m'avait jamais rien fait, ayant toujours pris un très grand soin de l'éviter, ce type était quand même un nuisible de première et je n’allais pas le regretter. Qu’est-ce que je n’avais pas dit là ? J’en ai pris plein la gueule ! J’étais, au choix, un mec sans cœur, un salaud, une ordure, un pourri, on ne dit pas des choses comme ça, tu devrais avoir honte, on respecte les morts, tu verras quand ça t'arrivera, et je te le souhaite de mourir de la mort blablabla…
Que ces quolibets venaient d'inconnus, ou de gens dont je n'avais rien à foutre, ne me gênaient pas. Mais je crois que ce qui m’a le plus peiné là-dedans, ce fut l’attitude réversible de certains de mes potes, se mêlant à la foule en larmes, racontant à qui voulait l'entendre à quel point ils étaient proches avec Jean-François, juste pour parader, et allant même jusqu'à me dire en face qu'ils n'avaient jamais rien dit de mal sur lui de son vivant. Cette bande de girouettes à couilles molles…
Brassens avait raison quand il disait que tous les morts étaient des braves types.
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