1982.
La première a lieu en 6ème. C’est une boum de filles. On a toutes mis un joli chemisier et on mange du gâteau au yaourt en écoutant Chagrin d’Amour comme si c’était le top du transgressif. La faute aux paroles scandées sans doute. Et au monsieur qui paye la dame.
Je nous revois toutes au milieu de la pièce chantant à tue-tête par-dessus le son du 45T. C’était un samedi après-midi et on a dû finir vers 17h00. C’est vous dire le souvenir que je garde de cette première boum ! Mais quand on vit dans une jolie petite ville en bord de Seine, une existence douillette de petite bourgeoise bien élevée, il faut savoir bien se tenir.
1984.
La deuxième s’annonce. Ce sera dans la cave du pavillon de ma copine au fond de la rue. J’ai dû négocier pendant 3 millénaires avec mon père pour pouvoir y aller (enfin disons que c’est ma mère qui s’y est collée). C’est encore un samedi après-midi et je trépigne à l’avance. Qu’est-ce que je vais bien pouvoir mettre, comment me coiffer, me maquiller (en cachette du paternel il va sans dire) et le cadeau. J’envisage d’offrir un disque mais je ne suis pas sûre de ce qu’elle a déjà. Il y a mieux en cette année 1984 : le papier à lettre ! Ça c’est tendance.
Me voilà partie avec un billet tiré de ma tirelire (le porte-monnaie maternel) à la maison de la presse, enfin la librairie, qui jouxte le supermarché Stoc du coin. Je plonge dans une intense réflexion qui me mène aux limites de l’angoisse. Le petit chien labrador sur fond de marguerite ne va-t-il pas faire trop petite fille par rapport à la scène de plage-coucher de soleil sur mer turquoise ? Bon ok, ce qui me met au supplice pour être honnête c’est le Pierrot triste.
Alors là celui-ci il est tellement génial que je suis en train de me dire que je ne peux pas l’offrir. Il est à moi. Je vais lui acheter un stylo rose et avec le reste des sous me prendre ce papier Pierrot. La bave me vient aux lèvres. Il me le faut.
Je vais donc aux crayons et là, je m’aperçois que Pierrot a aussi son crayon papier avec un petit pompon au bout et une gomme mauve. J’envisage alors de lui acheter Ok ! Magazine voire de me contenter de lui souhaiter bon anniversaire… Mais je me reprends. Ce sera le bord de mer, après tout elle fait de la natation.
Il reste donc la question épineuse du « à quoi vais-je ressembler ? ». J’ai les cheveux courts, je ressemble à un garçon, je fais une tête de plus que tout le monde, j’ai une masse de seins propre à faire passer Jane Birkin pour Samantha Fox et ma mère a encore son mot à dire sur l’achat de mes tenues. Bref et pour faire court, je suis dans la merde !
Je me plante donc devant mon armoire, je mets une K7 de hits enregistrés par moi-même sur les radios de l’époque, je sors des placards tout ce qui s’y trouve, j’essaye tout, je fous tout en vrac sur le lit (voire dessous) et rien ne va. Ma mère, alertée par le vacarme que je fais en dansant, monte voir ce qui se passe et je dois la réanimer d’urgence après qu’elle ait aperçu toutes les fringues qu’elle avait mis la semaine à laver/repasser/ranger foutues par terre ou dans le bac à linge sale (c’est tout ce que j’avais trouvé pour ne pas avoir à les replier dans les placards).
Finalement, j’opte pour un pantalon rose pâle à motifs géométriques fluo, un t-shirt blanc et des baskets. On accessoirise avec des créoles aux oreilles et un collier de nacre. Pour les cheveux, ceux qui ont lu de précédents articles le savent, c’est pas gagné ! On prend donc la bouteille de Petrol Hahn, on dresse des épis et on tente de faire un épi Bananarama.
C’est le fiasco total mais ça peut paraître branchouille et fait exprès si on n’est pas trop regardant. On prend donc le chemin de la maison du fond pendant que mon père m’explique qu’il va venir me chercher dans deux heures. Là, je fais demi-tour pour aller me coucher et ma mère temporise en disant que je peux rentrer toute seule.
J’arrive donc chez la copine, je tape à la porte, sa frangine de 8 ans ouvre la porte, me dit que je suis trop moche et que la boum va être un ratage complet. Une fois les cérémonies d’usage terminées (je lui dis qu’elle n’aura pas le droit d’y aller et qu’elle peut tout de suite aller pleurer sur l’épaule de sa mère qui a juré de ne pas faiblir et de ne pas l’autoriser à aller à la boum), je rentre et je passe dans la salle de bain.
Je me sers dans le maquillage de la grande sœur avec la retenue et le bon goût qui me caractérisent à l’époque : rose, mauve et turquoise. Je vérifie à nouveau dans la glace que ma coiffure est à chier, des fois que les cheveux de Pamela Ewing aient migré sur ma tête pendant les 3 minutes de marche entre ma maison et cette salle de bain… et je descends à la cave ! Parce que figurez-vous qu’on avait un choix limité dans ces pavillons : la cave ou le garage.
La cave donc. On y a installé des spots bleus et rouges qui clignotent à vous en faire décoller la rétine. Il y a une boule à facettes au plafond. Des posters collés exprès de travers sur les murs (Madonna, Michael Jackson et Duran Duran) et une table à encoller couverte d’une nappe en papier avec des petites fleurs, couverte de saladiers Tupperware remplis de chips, chamallows qui voisinent avec des bouteilles de Banga. L’habituel copain sympa est aux platines (comprendre le mec moche est devant le tourne-disque et fourrage dans la cagette à 45 tours) et on se demande même si on va avoir droit à la machine à fumée au moment des slows.
Des grappes d’ados sont déjà là. Filles avec filles. Garçons avec garçons. Ça se regarde par en dessous, ça glousse et ça dissèque les looks. Je choisis de m’adosser au mur et de prendre un air super cool dégagé. Je me dis qu’à part ma copine, je ne connais personne et que vu leurs tronches, ça pourrait bien continuer comme ça encore longtemps.
Enfin, on en arrive aux slows. Toutes les greluches qui ressemblent à des filles se font inviter. Je prends donc un air « tout le monde sait que vaut mieux pas m’inviter, j’aurais dit non ». Je refuse de m’asseoir pour ne pas connaitre l’humiliation de toutes les filles de grande taille. Si une fille de plus d’1,75m pose son cul sur une chaise, un mec d’1,60m va trouver urgent de l’inviter. A danser. Devant tout le monde. No way.
J’ai l’impression d’être au cinéma, je regarde des gens que je ne connais pas s’agiter comme si je n’étais pas là. Je repose le verre vide que je tiens depuis 2 bonnes heures et je me dirige vers l’escalier. Il fait une chaleur de four, mon maquillage a coulé, mes cheveux poissent, je me suis pris un râteau de compétition avec….bah personne en fait mais j’ai fait tapisserie ! Je prends alors une méga résolution : plus de boums pour moi.
Ah, au fait, j’ai dit à mes parents que c’était super cool. Manquerait plus qu’on m’interdise à l’avenir d’aller dans les boums que j’ai décidé de ne plus fréquenter !
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