LES CADEAUX MERDIQUES DE LA FÊTE DES MÈRES

Je sais, amie lectrice/ami lecteur, que toi aussi tu as été un grand artiste au moins une fois dans ta vie. Rien ne sert de le nier. Toi aussi tu as forcément, amoureusement, de tes petites mains potelées, confectionné un cadeau pour la fête des mères. À l’école. Là déjà, tu ricanes moins … Tu vois où je veux en venir.


Toi aussi, tu as ramené de la maison des boîtes à œufs, à camembert, des nouilles, des pots de yaourt… L’école alors entraînait ses chérubins toute l’année pour arriver au grand événement, celui qui devait marquer l’aboutissement de tes talents de créatif : la Fête des Mères.
Et tout comme il y eut Vatican II, Fête des Mères II a bouleversé nos vies. L’avant : on ramenait un truc moche et ça coûtait pas un rond. L’après : on faisait un truc moche et on organisait une expo pour que les parents l’achètent. C’est vous dire le degré de perversité de l’Education nationale déjà à cette époque.

Je me souviens de créations mémorables :

– un soliflore en verre transparent sur lequel j’avais peint…..une fleur. Et ouais, je faisais dans le minimalisme esthétisant à l’époque ;

– un coussin en paille tressé sur lequel j’avais cousu en brins de laine de toutes les couleurs….une fleur. Quoi ? Il est où le problème ? On ne peut pas faire preuve d’une inventivité débridée raisonnable ?

– un plat ovale pour mettre le gratin de pâtes sur lequel j’avais dessiné : et là, amie lectrice/ami lecteur, tu vas en prendre plein la face….une cigogne en plein vol…entourée de fleurs !

Je revois encore ma mère arriver le samedi après-midi à l’école, me tenant la main (mon père avait décrété que lui vivant jamais on ne le verrait se faire ch…dans un endroit pareil) et ce lent cheminement au milieu de toutes les autres mères était empreint de solennité (tous les autres pères ayant dû faire cause commune avec le mien sauf ceux qui voulaient se rincer l’œil sur les institutrices mais cette année-là, y’avait plutôt de quoi enfiler des lunettes à verres opaques et s’injecter de l’acide dans la rétine que de reluquer la gentille dame qui avait la lourde tâche de m’élever l’esprit et qui était, ma foi, affligée d’un physique qu’on pourrait qualifier de peu avenant… Quoique sa propension à mettre des robes à fleurs un peu trop courtes qui ne couvraient pas la lisière des mi-bas pouvait provoquer une excitation chez les pères de famille en manque de relations intimes ou chez les paraphiles assumés).


Enfin bref, nous voici dans la grande salle du réfectoire, qui pour une fois était pimpante. On n’y sentait pas les remugles de steak haché à moitié sanguinolent, de purée de patate faite sans patate ou de verre de lait chaud couvert d’une peau de 43 centimètres qui tremblotait plus que les fesses de ma voisine (tiens, une institutrice).
On avait sorti les grandes tables sur lesquelles on mangeait d’habitude et on avait mis des nappes blanches en rouleau. Yes, Sir. Quelques bouquets de fleurs en plastique donnaient un air guilleret à cette blancheur de lavabo et au milieu de ces tables trônaient nos productions enfantines. Des plats, des assiettes, des verres, des carafes qui tous avaient été décorés par les rejetons des mères ici présentes. La mienne produisit un « osskessébo » en se dirigeant vers un joli plat carré décoré d’arabesques aux mille couleurs….avec une jolie étiquette de mon prénom…mais « ossépadbole » c’était pas le bon nom. Je la tirais donc par la main pour lui montrer MA création fantastique : le plat « cigogne en plein vol » ! Je revois encore son air interdit, son pas en arrière pour envisager la chose de plus loin des fois que ça la rende moins laide au deuxième abord mais que nenni…il allait falloir qu’elle l’achète ce truc !
J’eus droit aux compliments d’usage sur la dextérité et l’inventivité dont j’avais dû faire preuve pour commettre créer cette œuvre d’art. Elle retournait alors le plat en question pour voir l’étiquette avec le prix. D’interdit, son air devint franchement hagard mais, bravement, après avoir liquidé son capital retraite, elle acheta donc le fameux plat.
Le retour à la maison fut très lent, il aurait été dommage qu’on fasse tomber une merveille pareille. Le soir venu, mon père fut donc mis face à la chose et déclara que …ben en fait, il ne déclara rien faute de pouvoir dire quelque chose de diplomate !

Ce plat fut de toutes les réunions de famille à la maison. Tous les invités du dimanche avaient droit au « rossbif » ou aux pommes dauphines dans ce plat. Les couleurs finirent par pâlir et les parois se rayer mais il était de sortie quand même.
Sans doute pour me faire pardonner mon sens artistique déplorable, je ramenais à ma maman d’innombrables plats des maisons les plus prestigieuses mais rien n’y faisait. Ils restaient dans le placard et on sortait le moche. Immanquablement, les invités s’exclamaient sur le côté vachement tendance de ce splendide plat péruvien, sans doute acheté chez Conran, permettant à ma maman de dire, avec une fierté sans rapport avec la création en question, que « nan, c’était sa rejetonne qui l’avait fait de ses petites mains à l’école primaire ».


Pour une raison qui m’échappe, la chaîne des Alpes recrée en boîtes d’œufs (on avait le relief montagneux tout fait) n’a pas réapparu après son retour de l’école. Non point que le portrait de lapin en nouilles collées sur un fond aluminium… Quelle perte pour le monde de l’art…

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