LES BALS POPULAIRES ET LA SAINT SYLVESTRE - PARTIE 1

Dans les années 80, on vivait plein de choses chouettes et pour certaines on n’en était même pas conscients. En revanche, on vivait aussi des trucs moins poilants et bizarrement, là, on en avait parfaitement conscience. On sentait même confusément qu’ils resteraient dans notre tête à vie.

Mes parents aimaient danser. Ça tombe bien, moi aussi. J’ai appris très tôt, et dès que je le pouvais, toute petite déjà, je hochais du popotin en rythme. Avec le temps est apparu un léger point de désaccord entre mes parents et moi.
Le premier était sans appel :
- Tu n’iras pas en boite ma fille !
J’ai tout tenté mais la levée de l’interdiction n’est intervenue que ………..euhhhhhhhh…….tard.
En revanche, le second point était lui ….sans appel aussi finalement. Quand mes parents sortaient s’amuser, je devais y aller aussi. Et, cher ami lecteur/trice, ça piquait les yeux.

Nous avions alors deux choix qui déclenchaient hourras et bravos pour étancher la soif de boogie de mes parents : le restaurant qui faisait soirée dansante ou l’orchestre qui faisait repas-dansant. Et le point d’orgue d’une année, évidemment, c’était le réveillon de la Saint Sylvestre ! Je commençais déjà à avoir des sorties d’eczéma quand les premières publicités sortaient dans les journaux gratuits, dans les pages locales du Parisien ou collées aux murs.


Prenons l’exemple du restaurant/soirée dansante. Au hasard, une pizzeria. Hasard encore plus malheureux, mon père qui lie connaissance avec le patron et ledit patron qui assure lui garder une place pour trois personnes malgré l’afflux de demandes du monde entier. Là mes bons amis, je vous la dis, la messe est dite ! La réservation est prise. Je suis prévenue qu’on sort le soir du 31 et que j’ai intérêt à faire bonne figure « pas comme les fois d’avant ». Mais et comment donc que ça me fait plaisir ! J’exulte, je souris à la vie, je clame mon bonheur. Putain, je suis dans la merde !

Ma mère a ce regard qui ne trompe pas. Un réveillon, ça se prépare. On s’habille. Que nenni, je n’avais point envisagé d’y aller toute nue (j’avais surtout envisagé de ne pas y aller du tout)…mais il faut que je fasse honneur à la soirée et que je m’HABILLE. Traduction pour les mal comprenants ou les fans de Stromae (ce qui revient un peu au même convenons-en), il va falloir mettre les petits plats dans les grands : coiffée (si possible permanentée) et en tenue de réveillon. Parce que manque de pot pour moi, il y a une tenue de réveillon et circonstance aggravante, ça ne peut pas être mon jean slim, mes baskets Adidas et mon pull informe. Il faut envisager la robe, voire la jupe pour peu qu’on mettre un chemisier avec (un chemisier !), les souliers de fille et un minimum de bijoux qui pètent et sentent le Nouvel An. Dans les années 80, le bijou qui pète, c’est pas ce qui manque !

Ma mère envisage mon placard, envisage le sien pour prêt (là je menace de me suicider à la douche d’azote) et finit par décréter « qu’on va aller en courses ». Là, j’entame un moment d’intense recueillement pour avoir la force de vous narrer la chose.

A suivre.

KLAUS NOMI - LET ME FREEZE AGAIN TO DEATH

Il y a des interprétations live où il se passe quelque chose d'inexplicable, de fort, de déchirant ; ça vous prend aux tripes et vous le l'oubliez jamais. Et lorsqu'elles sont filmées, c'est une chance inespérée. En voici une.



Klaus Nomi, c'était l'opéra rencontrant la new wave. Des imbéciles riront sans doute de son look, mix du Joker et de Pee-Wee Herman, mais leurs rires s'arrêteront de suite lorsque Nomi ouvrira la bouche car, pour chanter comme lui, ce n'est pas du talent qu'il faut, mais du génie.

Cold Song, requiem magnifique, était une adaptation d'un des actes de l'opéra King Arthur de Purcell. A l'écoute des applaudissements, il est évident que le public a compris qu'il venait d'assister à quelque chose d'unique.
Le dernier plan chantant de cette vidéo est saisissant. Ce n'est plus un visage qu'il arbore mais un masque mortuaire et son regard est d'une puissance dévastatrice. Il devient la musique et fusionne avec les paroles. S'y identifiant complètement, il jette un dernier regard sur la vie et le premier sur la mort, la sienne. Atteint du SIDA, il se savait probablement condamné par la maladie, ajoutant ainsi une touche prémonitoire et morbide à l'œuvre.

Il décédera six mois plus tard, dans des conditions épouvantables faute de réponse médicale face à ce "cancer gay" encore méconnu, le 6 août 1983.

MES TRES CHERS PROFS...

L’école étant obligatoire jusqu’à 16 ans, cela permet de se construire une histoire personnelle au fil des dizaines de profs rencontrés durant sa vie estudiantine. Le constat est le même pour tout le monde : il y en a eu des biens, certes, mais il faut tout de même admettre qu’on en a croisé un sacré paquet qui avaient de gros problèmes !
Ayant fait toute ma scolarité en école publique, cela permettait, sans le vouloir, de doubler mes chances de croiser de véritables monstres de foire. Je n’ai pas été déçu.

Je classerai mes profs en trois catégories explicites.

Les tarés


On a tous eu un prof taré, et souvent plusieurs. Vivant dans son monde, ne comprenant pas tout, sujet à des crises, voire complètement halluciné, mais pas méchant, le prof taré est plus une source d’amusement qu’autre chose et celui dont on peut se souvenir le plus facilement, et parfois même avec plaisir bien des années après.


M. T. était un prof de maths et de physique. Grand, brun, lunettes, moustachu, 30 ans à tout casser, il était mon professeur principal en 6e et me rassurait car il ressemblait comme deux gouttes d’eau à un de mes oncles.
Etant la pire buse en mathématiques du monde, je craignais à chaque rentrée le pire, me voyant déjà tomber sur un sadique de première. Ça arriverait évidemment, mais pas avec lui puisque je découvris, avec le reste de mes camarades, que M. T. n’en avait rien à foutre de sa classe. Il faisait ses cours dans une ambiance digne d’un marché aux puces. Personne n’écoutait, tout le monde faisait autre chose (discutait, dessinait, riait…) et lui continuait à écrire au tableau ses chiffres et ses lettres tout en parlant dans le vide.
Devant ce manque d’autorité, et surtout ce je-m’en-foutisme assumé, il eut des problèmes avec des parents d’élèves d’autres classes, certains voulaient même le faire virer. Les braves gens. Il n’était pourtant pas méchant.
Il arriva un jour pourtant où il péta un plomb et coursa dans toute la classe un élève qui s’était foutu de lui avec, à la main, le compas géant du tableau... Sans doute que M. T. avait oublié de prendre ses gouttes ce matin là.



Mme L. était la seule prof de musique de mon collège. Il fallut attendre 1988 pour en voir arriver un second, et pas un marrant, et entendre ainsi les lamentations des anciens et autres redoublants qui regrettaient bien leur Mme L. Non pas parce qu’elle était sympa ou compétente, mais juste parce qu’avec elle, on était assuré de passer une heure tranquille.
Elle faisait partie de ces femmes qui font vieille même jeune. Probablement âgée de 45 ans quand je l’ai connue, on lui en donnait facilement 20 de plus. Son look très particulier ne l’arrangeait pas. Affectionnant les grands voiles et autres châles, chaussant en été des sandales dévoilant des pieds bouffés par la corne, elle portait sur sa vieille tête une épaisse tignasse crêpée blonde poivre et sel. Toujours affublée d’un énorme sac à main tenant plus de la caisse à outils qu’autre chose et semblant être en bois, munie d’une paire d’yeux écarquillés et d’un sourire haut perché donnant l’impression qu’elle était sous LSD, elle était le prototype même du prof qu’aucun élève ne prendrait jamais au sérieux.
Négligeant le peu de cours qu’elle voulait nous imposer, je n’ai jamais appris une seule note de musique avec elle, ce qui me ferait regretter mon attitude punk quelques années plus tard lorsque je me mis à tripoter des claviers. De toute façon, plus que l’enseignement du solfège, elle préférait largement nous faire chanter en canon en nous accompagnant avec son orgue aux touches aussi jaunies et ébréchées que ses dents. Une fois, elle tenta de nous faire chanter la Marseillaise. Allez demander ça à des ados, franchement… Peine perdue. Alors elle nous fila comme devoir de copier trois fois de suite les paroles. Exercice absurde. Ne voulant pas m’emmerder, je les copiais une fois puis ajoutais dessous « x 3 ». J’ai eu 0 évidemment.
N’ayant aucune autorité sur sa classe, votre serviteur, et d’autres, s’étaient spécialisés dans l’utilisation de ces tout juste 60mn pour faire tout et surtout n’importe quoi. Pour nous, c’était comme une heure de permanence. Du pillage des devoirs des autres pour le cours suivant en passant par l’échange de petits mots avec les copines voire carrément de monter sur sa table et de danser comme Andy McCluskey sous les applaudissements de ses camarades hilares, tout était permis et rien ne lui fut épargné. Se faire coller par ses soins était presque une récompense. J’ai le souvenir de deux heures de colle avec des potes à pleurer de rire tant nous nous amusions.
Un jour que j’étais déchaîné, et sans doute que j’avais dépassé sa limite acceptable, pourtant très large, elle exigea mon carnet de correspondance. Là, ça ne rigolait plus. Pendant que je tergiversais, usant d’arguments chocs pour éviter ce mot, comme quoi mes parents me priveraient de nourriture pendant quatre ans et aussi de regarder l’Académie Des 9, achevant ainsi de faire rire toute la classe, mon meilleur pote et voisin de table me dit en douce : « Tiens, prends le mien ! » Les binômes de potaches sont redoutables pour les profs. L’union fait la farce. Me saisissant de son carnet, je le donnais à la vilaine prof afin qu’elle inscrive noir sur blanc, à l’intention de mes parents, le détail de mon comportement déplorable.
De sa meilleure écriture, elle y écrivit que j’étais un fauteur de troubles pour la classe et que j’empêchais mes petits camarades d’étudier. Cette phrase allait très souvent revenir à mon propos…


Lorsqu’elle me le rendit, elle demanda de voir la fois prochaine ce mot signé par mes vieux.
La semaine suivante, elle vint à ma table et me réclama mon carnet pour y voir les dites signatures. J’attendais ce moment depuis 8 jours. Prenant un air étonné et offusqué, je lui demandais pourquoi et de lui répliquer, une fois qu’elle m’eut rafraîchi la mémoire, que cette histoire de mot n’était jamais arrivée. Elle devait rêver ou confondre avec un autre élève. Elle exigea mon carnet, de suite ! Quoi de plus drôle que ces faibles voulant jouer les durs ? Je le lui donnais, toujours en protestant de l’injustice de la chose. Elle chercha longuement son mot dedans, sans le trouver. Forcément. Elle se mit à hurler que j’avais arraché la page. J’avais tout prévu.

- Non madame, les pages sont numérotées et elles sont toutes là ! Vous pouvez vérifier. Je n’oserai jamais déchirer mon carnet, c’est un acte trop grave. Je vous dis que vous confondez avec quelqu’un d’autre ! Moi je suis sage en classe, j’étudie beaucoup et je vous respecte !

Elle compta donc les pages, elles étaient toutes là. Elle amorça un début d’explication comme quoi c’était un nouveau carnet mais non, il était fort bien rempli déjà… Dernière chance pour elle, j’avais effacé son mot. Et moi de poursuivre, toujours très relax :

- Au Tipp-Exx ? Il y aurait un gros pâté blanc. A l’effaceur ? Vous écrivez au stylo Bic non ? A la gomme bleue ? Ça déchire le papier. Vérifiez, mon carnet est immaculé, comme ma conscience. Je n’ai rien fait madame.

Complètement à côté de ses sandales, elle me rendit le carnet et s’en alla piteusement vers son bureau où il était inscrit depuis des années, sur le devant, au marqueur noir : « Ne pas donner de cacahouètes au singe derrière le bureau ! ». Je pense qu’elle a vraiment cru qu’elle perdait la boule sur ce coup là, qui fut un de mes coups de maître-potache. Mon pote, agité de violents spasmes, en a presque fait sous lui tant il s’empêchait de rire. A noter que, après lui avoir expliqué, il fit signé le mot par sa propre mère, que je connaissais et qui m’aimait bien. Cela la fit beaucoup rire elle aussi.


Mme L. était une prof d’anglais. Ce fut même la première que j’ai eue en 6e. Je la retrouverais en 4e puis en 3e. Contrairement à moi, elle n’avait pas changé depuis. Incapable de s’imposer, très naïve, gobant couleuvres sur couleuvres et ne voyant rien, elle se faisait toujours posséder par les élèves plus malins qu’elle, ce qui n’était pas dur. Combien de fois lui ai-je présenté mon cahier avec, comme preuve de devoir fait, une succession de mots anglais ne voulant rien dire et écrits 5mn avant ? Toute l’astuce était de lui montrer sans qu’elle n’en voit le détail mais qu’elle comprenne tout de même que la page était bien pleine, donc le devoir fait. Du bluff d’artiste.
Très limitée question patience et nerfs, elle perdait rapidement ses moyens quand sa classe foutait un peu trop le souk. Elle tapait du pied comme une malade sur l’estrade en criant : « Non non non ! J’en ai maaaaarre ! Ça suffiiiiiit ! » Une fois même, elle s’en alla pleurer contre l’armoire. Le calvaire de ces profs poussés à bout…
Syndicaliste à mort, elle nous distribuait régulièrement tracts et invitations à destination de nos parents pour venir défiler avec elle les jours de grève. Les lendemains de manif, elle nous racontait parfois, avec beaucoup d’exaltation dans ce qui lui restait de voix, qu’elle avait tapé sur un tambour en braillant des slogans engagés...
Un matin, un des élèves de la classe (j’étais en 3e), déchira à grand bruit la petite enveloppe d’invitation qu’elle venait de nous remettre à chacun. Elle le vit et cela la mit en colère. Elle commença à dire que c’était pour nous et nos parents qu’elle s’en allait défiler et qu’ils feraient mieux de venir tous. Le déchireur lui répliqua que nos parents bossaient et qu’ils avaient donc autre chose à foutre. De plus, lorsqu’ils avaient des problèmes dans leur job, ce n’était pas les profs qui allaient les soutenir ! Un tonnerre d’applaudissement ponctua ces phrases simples et bien senties et la pauvre prof de devenir rouge, encore, mais de rage cette fois.


Mme D. était une prof de français, la dernière que j’ai eu en 3e. Maigre, sèche, déshydratée, cheveux décolorés blond-blanc et presque en brosse façon Spagna, la quarantaine bien entamée, les sourcils rasés et (mal) redessinés au crayon, elle était pénible et avait une voix donnant des envies de meurtre. De par mon comportement, elle me détestait mais savait quand même rester objective puisque je décrochais à chaque trimestre, et de loin, la meilleure note de rédaction de la classe et tout ça sans me fouler. C’est ce qui m’autorisait, je pense, à animer à ma façon chacun de ses cours quitte à ce qu’elle l’écrive ensuite sur mes trimestres :


Imaginez la tête de mes parents devant ces quelques lignes…
Le lundi matin, nous démarrions avec elle, et en fanfare, puisque c’était dictée. Nous poussions tous en chœur un soupir qui en disait long sur notre ennui. Cet ennui qui résume bien toute ma scolarité, avec des cours inintéressants, des profs ne sachant pas les rendre vivants et attendant comme nous que la cloche sonne. Pour le tromper, avec trois copains, nous faisions des concours à celui qui ferait le plus de fautes dans le texte. On s’amuse comme on peut. Comme une « team » improvisée de sous-titreurs de séries, nou ékrivion com sa, ce qui portait chacune de nos dictées à plus de 70 fautes par texte en moyenne. Un matin, la prof dicta la phrase : « l’ambiance était très gaie ». F., l’un de mes potes, écrivit « gay », et comme il l’était en plus, cela lui paraissait encore plus normal de l’orthographier de cette façon. Le lundi suivant, elle rendit les copies et fit un aparté en riant à moitié, un peu gênée, en disant que quelqu’un avait écrit le mot « gaie » d’une façon peu orthodoxe… F. se mit à hurler de rire en disant tout fort : « Mais qu’elle est con celle-là ! »
Elle trimbalait toujours avec elle un sac fort garni qu’elle déposait au pied de son bureau et où dépassait parfois de l’étoffe blanche ressemblant à de la dentelle. Cela nous intriguait fortement. Etait-ce sa robe de mariée ? Devant tant d’interrogations, il nous fallait une réponse et elle vint d’un mec de la classe qui se leva pour carrément aller fouiller dedans pendant qu’elle avait le dos tourné. N’étant pas très discret, il se fit gauler par la prof qui fut outrée et l’expédia violemment, ce qui est compréhensible. Mais nous avions enfin la réponse ! Ce sac contenait des chaussons et autres collants de danse. Sans doute qu’après la classe, elle se rendait à un cours de gym tonic ou assimilé. Comme aurait dit mon père : « Elle n’est pas fatiguée de sa journée de boulot celle-là ! »
Son attitude de prof pète-sec attira des haines. Un ancien pote l’ayant également me racontait que sa classe était une véritable zone de guerre avec elle. Dès qu’elle avait le dos tourné, tout le monde lui lançait quelque chose. A chaque fin de cours, il y avait sur l’estrade des dizaines d’énormes boulettes de papier, du pain et autres objets indéterminés. Une pile s’écrasa même sur le tableau, juste à côté de sa vieille tête décolorée. Ça devenait dangereux pour elle.
Notre propre classe n’était pas violente mais le chahut y était constant. Nous papotions comme des bignoles et produisions quantité de bruits improbables, comme des hurlements de douleur, des rots bien gras ou « la jungle » comme nous appelions ça. Dès qu’elle se retournait, chacun y allait de son bruitage sauvage, des cigales en rut au vent dans les feuilles jusqu’au singe devenant fou. Je la revois un après-midi comme ça, assez démoralisée car ayant compris que nous ne nous arrêterions jamais, et de nous dire d’une voix lasse : « Et vous vous croyez malins ? »
Un jour, elle se décida à agir. Ayant constaté que chacun s’asseyait avec qui, et comme il le voulait aux tables, elle organisa un tirage au sort. Le hasard déterminerait pour le reste de l’année notre voisin(e). Sans doute pensait-elle que briser les groupes de potaches résoudrait tout. Chacun confectionna donc un petit bout de papier avec son patronyme dessus et le mit dans une ancienne boîte de Kleenex en carton. C’était la tombola. Devant le ridicule de la chose, il fallait intervenir. Il y eut bourrage d’urne et près de 60 petits papiers se retrouvèrent dans la boîte alors que nous devions être 28 ou 29… Ceux avec des noms de stars, comme Carl Lewis, John Wayne ou Goldorak, furent facilement repérés par la prof, mais pas ceux avec des noms et prénoms imaginaires réalistes. Un élève se retrouva associé à « George Abdullah ». Et Mme D. de demander : « Où est George ? Il est absent aujourd’hui ? » Nous nous décrochions la mâchoire de rire devant sa connerie profonde.


Le lycée fut aussi une source d’enseignants bien allumés. M. C. était un prof de dessin industriel d’une cinquantaine d’années. On l’avait trois heures d’affilée pour démarrer la semaine et ce n’était pas choupi. A son visage cramoisi, nous comprîmes assez vite à qui nous avions affaire. C’était un vieux poivrot qui devait se soûler la gueule tout le weekend et en avait encore des émanations le lundi matin. Il nous le confia d’ailleurs à la fin de l’année, en nous déclarant que le calva, c’était son truc…
Dès le premier jour, il tenta de s’imposer en passant en revue le matériel de chacun exigé pour son cours. J’avais un critérium 0,6 pourtant tout neuf, mais pas à la bonne taille pour lui, exigeant du 0,5. Il me colla donc un devoir supplémentaire en guise de punition en attendant que j’en achète un autre. Il en était hors de question. Lors de la seconde inspection, j’empruntais celui d’un copain, un 0,5, et je fis toute mon année avec mon 0,6 ce qu’il ne remarqua jamais, illustrant bien là toute la connerie de ces enseignants. Dans une autre classe où j’avais une connaissance, on me raconta que M. C. fit la même chose, mais au lieu d’une punition, il mit carrément le mauvais crayon d’un élève dans la poubelle à côté de son bureau. L’élève furax se leva, prit la trousse du prof et la mis aussi dans la poubelle…
Presque à chaque cours, il cherchait la bagarre avec nous. Il fallait qu’il boxe, c’était plus fort que lui. Chacun y eu droit dans la classe. Quand ce fut mon tour, il me dit tout le bien qu’il pensait de moi, comme quoi j’étais l’exemple type de l’élève arrivant le dernier et repartant le premier, ce qui me fit beaucoup rire intérieurement. C’était tellement ça en plus. Il attendait sans doute que je réponde, outré, et qu’ainsi s’engage une joute verbale où il serait de toute manière le vainqueur car les profs ont toujours raison sur leurs élèves, même quand ils ont tort. Peine perdue. Je savais que c’est ce qu’il désirait le plus. Je ne dis donc rien et encaissais sans broncher avec un petit sourire en coin tant il m’amusait. J’avais 16 ans et ma personnalité était faite. Ce n’était pas lui qui allait me faire pleurer. Il se lassa bien vite de mon attitude digne d’un sac de farine et s’en alla à la recherche d’un véritable sparring partner qui saurait répliquer, lui donnant ainsi son content de gnons. Des gnons verbaux évidemment. Pourtant, un matin, dans ma classe, il se battit réellement à coups de poing avec un élève. C’était inévitable. Son comportement fit qu’il eut toute l’année les pneus de sa voiture crevés.


Les sales cons

Les profs « sales cons » ne sont pas foncièrement mauvais au sens propre du terme mais ce ne sont pas des gens bien tout de même. Ils ont souvent une très haute opinion d’eux-mêmes et prennent leurs élèves de haut ou carrément pour de la merde en leur faisant bien comprendre la chose.

Classe de 4e. Deuxième langue vivante, espagnol. Dans ma juvénile connerie, je pensais que ce serait facile, que c’était comme le français et qu’il suffisait simplement de mettre des « o » et des « a » à chaque fin de phrase… Hélas, c’était plus compliqué que ça. Vu les tonnes de verbe à apprendre et surtout la sonorité EXTREMEMENT désagréable de cette langue à mes oreilles, je larguais l’affaire en moins de deux mois et décidais de ne plus me faire chier à tenter de l’apprendre. C’est là que je compris que j’aurais dû faire de l’allemand. Certains me diront que, question sonorité, l’allemand, c’est pas non plus génial. Je ne suis pas d’accord. L’allemand est une langue martiale et puissante, on donne des ordres avec et tout le monde obéit. L’espagnol, c’est juste bon pour vendre des piments au bord des routes.


Pour nous enseigner la langue de Franco, nous avions Mme I. Dans le dico, au mot « radasse », on aurait pu mettre sa photo en guise de définition. Peut-être 40 balais, le visage luisant de crème grasse, maquillée comme un carré d’as, coiffée et décolorée « jeune » alors qu’elle n’avait plus l’âge pour ce genre de coupe, fringues chicos, parfois un futal en peau de vache moulant un cul plat et flasque, des tas de colliers clinquants et autres rangs de perles, puante de prétention et de parfum de luxe, elle me parut de suite antipathique.
De part son look de semi prostituée, elle attirait l’œil de quelques gugusses du collège, élèves comme profs, mais ils n’avaient aucune chance. Elle n’aimait que les femmes et toute l’école savait qu’elle rejoignait son mari à chaque récréation, une prof de maths très masculine, clone de Gianna Nannini.
Du fait que j’avais décidé que je foutrais plus rien dans son cours, ou juste le minimum syndical, en trichant un maximum, et que je ne masquerai même pas ma mauvaise volonté, la señorita I. m’apprécia autant que je l’appréciais. Et il arriva ce qui devait arriver.
Un jour qu’elle m’interrogeait sur une leçon que je n’avais pas apprise, je la fixais d’un air intrigué en ne disant rien. Elle réitéra sa question, toujours en espagnol. Cette langue était vraiment trop insupportable pour moi, alors je lui demandais de me parler en français, histoire que je pige ce qu’elle me demandait et que, peut-être, je puisse lui répondre. Ce fut pour elle la goutte de Chanel qui déborda de son flacon et elle me répondit que « je gâchais mon avenir et que je finirai probablement sous un pont ». Cette phrase m’a beaucoup choqué sur le moment. Quel est l’intérêt de balancer ça à un ado ? Dire que j’étais une brelle, pas de problème, mais ça, c’était juste de la méchanceté gratuite. Je lui répondis d’une manière fulgurante qu’elle n’avait pas à me dire ça car si elle était coincée dans ce bahut minable, c’est qu’elle n’avait pas le niveau pour enseigner plus haut et que, contrairement à elle, moi mon avenir était encore devant moi ! Il y eut un silence de mort dans la classe. La prof changea de couleur. Sa gueule huileuse masqua difficilement son malaise, seule une grimace de haine transpira de ses pores noyés par la graisse de baleine, mais elle ne fit rien du tout en représailles immédiates ce qui m’étonna fortement. Je me voyais déjà avec un mot sur le carnet ou aller chez la conseillère d’éducation. Sans doute que j’étais trop vieux pour tout ça. J’étais en 4e et ce genre de chose n’impressionne que les élèves de 6e et de 5e. Après, c’est fini.
Je me disais qu’elle se vengerait bien un jour et j’avais raison puisque, lors du premier conseil de classe, qui se passa très peu de temps après cet incident, elle demanda un blâme de conduite pour moi et fit tout pour que je l’aie. Peine perdue. Je ne reçus qu’un avertissement de conduite doublé d’un autre de travail. J’étais habitué, j’en avais quasiment à chaque trimestre. Même mes parents ne disaient plus rien. On s’habitue à tout. Better chance next time mala vida.


Mme G. reste un souvenir gourmand pour moi. Affublée d’un nom comique, nous découvrions cette jeune prof de physique-biologie lors de ma seconde 5e. C’était sa première année d’enseignante. Nouvelle et handicapée patronymique, elle aurait dû faire profil bas si elle avait été intelligente. Hélas, elle était bête et tenta de nous dominer et de s’imposer. Le rapport de force, ce n’est pas la bonne solution. Des ados respecteront toujours plus un prof sympa et humble qu’une tête de con voulant se la péter.
Elle était presque malfaisante mais ne m’a jamais rien fait personnellement. J’assurais bien en biologie et je trichais pour la physique, alors ça allait. Mais nous avions dans la classe un pauvre gars, A. Originaire du Cameroun, il venait tout juste de débarquer en France et créchait dans le minuscule appart d’un oncle qu’il nous fit visiter un après-midi et qui tenait plus du taudis qu’autre chose. Faute d’argent, il n’avait jamais les bonnes affaires et très peu de matériel. Un jour, il rendit un devoir sur des petits bouts de carton alimentaire faute d’avoir des feuilles. J’appris qu’il était suivi par l’assistante sociale de l’école, ce qui en disait long.
Mme G. le prit en grippe. Racisme primaire ou besoin de latter quelqu’un de presque à terre ? On n’a jamais su. Toujours est-il qu’elle ne le lâchait pas. Mauvaises notes à répétition mais surtout brimades sans relâche, presque du harcèlement. Pour elle, A. était toujours stupide, toujours nul etc. Tout le monde avait remarqué le comportement scandaleux de cette prof avec cet élève déjà pas très gâté. C’était dégueulasse. Lui ne disait rien et encaissait. C’était lui qui faisait profil bas. Par chance, tout se paie dans la vie. Et le hasard voulu que ce fut moi qui ai l’honneur de détruire cette prof nuisible.
A la fin de l’année, des inspecteurs se sont pointés pour évaluer Mme G. Elle jouait sa titularisation. Et c’est nous qui héritions du rôle de la classe-témoin. Un ou deux gradés de l’Education nationale entrèrent et se présentèrent à nous. Ils nous expliquèrent rapidement qu’ils allaient passer à quelques tables, les fameux établis en carrelage blanc avec le bec de gaz au coin et parfois un évier-robinet, pour discuter un peu avec nous de ce que nous avions fait cette année avec cette prof. Il fallait voir le comportement de Mme G. Froide et méprisante toute l’année, elle fut brusquement chaleureuse et adorable avec toute la classe pendant que les inspecteurs étaient là. Au bal des hypocrites, elle allait danser toute la nuit celle-là !


Arrivant à ma table, que je partageais avec un mec pas très fut-fut mais sympa, l’inspecteur, un clone de Tom Bosley, nous questionna. Parlant pour deux, je pris mon meilleur profil de l’innocent que l’on croit sur parole et j’ai dit non à presque tout ce qu’il nous énumérait. « Ah ben non, ça on l’a pas fait ! Ça non plus ! Pas vu ! Non ! La sonnette ? Nan, pas fait ! » etc. C’était faux, on en avait fait au moins la moitié. Nos cahiers en témoignaient mais il ne les ouvrit même pas. L’inspecteur fut halluciné de mes « sincères » réponses, nous disant que ce n’était pas normal. Il nota tout ça et repartit dans son coin.
Le cours se termina et tous les élèves quittèrent la classe. Ce fut la dernière fois que vous vîmes Mme G. puisque nous sûmes dans la journée qu’elle avait fait une crise d’hystérie en apprenant qu’elle avait été recalée et non titularisée. D’ailleurs, sur les quelques semaines qu’il restait avant les grandes vacances, elle ne revint pas au collège, soignant sans doute ses petits nerfs. Comme ce fut doux.
Près de 30 ans plus tard, je reste persuadé d’avoir été l’artisan de sa chute et j’en éprouve encore aujourd’hui une grande fierté. S’acharner sur des faibles, c’est comme aller casser la gueule à un amish, on ne risque rien et c’est la plus grande lâcheté au monde. Ça mérite d’être puni. Et durement.


Les malfaisants

Catégorie noire, les malfaisants sont ces profs qui détruisent sciemment certains de leurs élèves et y prennent du plaisir. Ils font des victimes à chaque génération.

Mon premier prof malfaisant fut découvert à l’école primaire, en CM1. Mme R. brisa ma vision des institutrices que j’avais presque portée aux nues de par mon CP. C’est avec elle que le sens du mot « injustice » me fut révélé et que j’ai goûté pour la première fois à la haine envers un enseignant.
Mme R. était corrompue. Elle se faisait rincer par certains élèves à coups de fleurs et de chocolats, ce qui ne devait pas arranger son tour de hanches déjà fort volumineux… Ces cadeaux n’étaient pas spontanés. Les fayots qui les amenaient ne faisaient qu’exécuter ce que leurs parents, probablement anciens fayots eux-mêmes, leur disaient de faire. Je découvris avec le temps que ces gens-là étaient bien souvent délégués des parents d’élèves.
En plus d’être ouverte à la corruption passive, c’était également une instit’ lamentable. Son truc préféré était de nous faire faire de la copie tout l’après-midi. Nous prenions notre livre de l’année, « L’Île Rose », bouquin des années 20, grotesque au demeurant, et en avant pour des dizaines de pages à recopier, et EN SILENCE ! Pourquoi ? Pour rien. Enfin si, pour avoir la paix sans doute. Pendant ce temps-là, Mme R. reposait ses jambons ou corrigeait ses copies au lieu de le faire à la maison...
Elle distribuait également claques à la chaîne selon son bon vouloir. Nous étions au tout début des années 80 et, les châtiments corporels avaient beau être bannis depuis un certain temps, ça se pratiquait toujours plus ou moins même si nous étions assez loin de ce qu’avaient pu subir nos parents. J’y ai eu droit, comme la majorité des garçons de la classe d’ailleurs. Très rarement les filles. A la moindre déconnade, faute ou oubli, paf ! Elle avait une méthode bien à elle pour ça. Elle vous appelait à son bureau, prenait votre visage entre ses deux mains aux doigts boudinés, vous caressait les joues une fois ou deux puis les ouvraient en grand et les refermaient violemment dessus, comme on écrase une mouche. Plus que la douleur cuisante, c’était l’humiliation de se faire baffer comme ça devant tout le monde qui était la pire souffrance. J’appris bien des années plus tard, et de sources sures, que Mme R. était régulièrement dérouillée par son alcoolo de mari. Il lui arrivait même de se pointer le matin à l’école complètement bleue des coups reçus la veille. La voilà la raison pour laquelle elle nous cognait ! Il fallait qu’elle se venge de sa vie minable et des hommes en général. C’était sans doute plus facile de nous claquer le beignet que de quitter son bonhomme.
Mais pire que les copies usantes et stériles ou les baffes en stéréo, ce que je garderai comme le plus mauvais souvenir de cette instit’, c’est le fait qu’elle m’ait volé ma victoire.
Mi 82, une opération de la prévention routière se déroula dans notre école. Toutes les classes de CM1 étaient concernées. Il y aurait une sorte de test un matin sur le code de la route et le meilleur élève de chacune des classes testées se verra le droit de conduire sur un parcours, avec un accompagnateur, une voiture, une vraie ! J’étais au courant de tout ça depuis longtemps puisque le parcours se trouvait sur les allées juste en bas de chez moi. J’avais vu s’installer grand chapiteau et petites voitures, des Citroën Visa. Tout cela nous faisait saliver.


Le matin du test arriva vite. J’ai le souvenir de diapos présentées et de cases à cocher pour la réponse. Comme le code quoi !
Peut-être une semaine plus tard, les résultats tombèrent. Mme R. annonça que le meilleur élève de la classe sur ce test n’était autre que… moi ! J’en fus le premier surpris vu que je me situais dans la moyenne des élèves question notes et classement à la fin de l’année. Pas vraiment une tête donc. Mais là, j’étais bel et bien le N°1 avec un score de 29 points. La Visa était à moi. Je sentais déjà les pédales sous mes pieds et le volant dans mes petites mains. Hélas, c’était sans compter sur Mme R. Elle décida d’accorder arbitrairement 3 points de plus à l’élève classée seconde et qui avait fait 27 points. Cela porta son score à 30. Elle était devenue N°1, c’est elle qui conduirait la bagnole en bas de chez moi et je l’avais dans le cul. Imaginez mon désarroi.
Pourquoi 3 points de plus ? Parce que cette élève était l’une de ces fayottes qui approvisionnait très régulièrement Mme R. en bouquets et autres douceurs. Et sans être parano, je pense que cela lui faisait grandement plaisir de me priver de ma victoire. J’ai toujours eu le sentiment qu’elle me détestait, je n’ai jamais su pourquoi d’ailleurs. Je ne foutais même pas le bordel à ce moment là, croyant encore à toutes ces conneries de bonnes notes pour avoir plus tard « un bon travail et un bel avenir »… Sans doute que ma coupe au bol ne lui revenait pas. On était pourtant nombreux à en avoir une dans la classe…
Ce qui me sidère maintenant, c’est la passivité à laquelle j’ai réagi. Je n’ai rien dit, je ne crois même ne pas en avoir touché un mot à mes parents. La prof avait parlé, il n’y avait qu’à s’écraser. Sans doute que j’appliquais l’éducation de ma mère : « Ne rien dire pour ne pas se faire mal voir ! » Bref, se laisser marcher dessus en souriant… Mon adolescence explosive m’a sauvé là-dessus.
Je n’ai jamais oublié cette injustice, ni cette institutrice. Je l’ai revue dans une rue de ma ville voilà près de 20 ans de cela et nous nous sommes bien reconnus lorsque nos yeux se sont croisés. La haine était intacte des deux côtés. Je me suis toujours promis que le jour où j’apprendrais son décès, je me ferai un bon gueuleton.


Mme D. était une prof de maths. Je l’avais en soutien d’une heure un lundi matin sur deux en 6e. C’est un de mes pires souvenirs d’école. Le meilleur moment avec elle, c’est lorsque je quittais son cours et que je me disais que je ne la reverrai que dans deux semaines. Une délivrance. J’avais sauvé ma peau. Mais le temps passe vite et le lundi fatidique revenait toujours bien trop rapidement. Comme je l’avais en première heure pour entamer la semaine, la machine à angoisse démarrait dès le dimanche soir. Je sentais un ciseau glacé me découper les tripes.
Je me revois en hiver, tôt, le jour pas encore levé, marchant sous la lumière orange blafarde des alignements de réverbères pour me rendre à l’école. Résigné, les yeux baissés, je voyais mon ombre s’étirer au fur et à mesure que j’avançais pour s’effacer puis se dédoubler dès que je passais sous un autre néon public. J’avais l’impression que mon âme me quittait. Je me sentais en danger de mort, littéralement. C’était comme si je montais à l’échafaud. D’ailleurs, c’était ça. Tous les 15 jours, j’étais condamné à la peine capitale, j’attendais mon exécution pendant une semaine et le lundi suivant, j’étais guillotiné.
Mme D. amplifiait sa laideur naturelle par un look de bibliothécaire des années 70. Une queue de cheval attachant des cheveux gras et ternes, de grosses lunettes, des chemisiers ou T-shirts blancs informes pas repassés, parfois tachés, des jupes noires tentant de cacher un cul de percheron, et une tronche jamais maquillée où l’humour, et probablement l’amour, étaient totalement absents.
Son plaisir était de harceler les nuls en maths et de les faire chuter avec des questions-piège. Le genre, combien de fois X est-il contenu dans Y ? Etant infoutu de répondre à ce genre de truc, j’étais rabaissé devant tout le monde et régulièrement puni. Ses punitions consistaient à des copies de tables de multiplication.

- Tu me copieras 100 fois la table des 7 pour la semaine prochaine ! Comme ça, peut-être que tu la sauras !

Ça c’est de la pédagogie ! Quasiment à chaque cours, j’y avais droit. De retour chez moi, je copiais ça machinalement, tristement. Encore aujourd’hui, j’ai du mal à savoir si 7x7 font 49 ou 56…
Mais le fait que je perdais mon temps de libre, tout en me chopant des crampes à la main, à écrire sur les tables ne suffisait sans doute pas à son bonheur et elle passa au stade supérieur en me collant claques derrière la tête et autres arrachages de poils. Vous savez, les pattes devant les oreilles. On les chope à la racine avec le pouce et l’index et on tire vers le haut. Ça fait TRES mal ça. Elle me la fait plusieurs fois. Je gueulais de douleur et ça semblait lui faire du bien. Il était clair que cette bonne femme avait d’énormes problèmes. Ce serait aujourd’hui, parité oblige, je lui casserai la gueule comme si c’était un homme, mais je n’avais que 10 ans et demi, je sortais tout juste de l’école primaire et n’étais pas prêt à affronter quelqu’un d’aussi mauvais.
Tout cela date de 1983/84, et malgré le peu de cours que j’ai eu avec elle, je n’ai jamais oublié cette pourriture et le mal qu’elle m’a fait. Elle contribua à ma haine absolue et éternelle des maths, matière (fécale) synonyme de tourments, de souffrances et d’humiliations permanentes pour moi. J’espère qu’elle est morte depuis, d‘une maladie bien méchante et qu’elle a longuement souffert avant d’y passer. Et je suis soft là.



Mme M. était une prof de sport. Une bonne quarantaine d’années, un casque de cheveux blonds décolorés, une tronche de canne, un cou de poulet, affublée du même jogging intégral toute l’année, un truc semblant tricoté main, vert kaki quand je l’ai connue puis beige à la fin de ma scolarité dans ce collège, cette enseignante était aussi sportive que moi. Un après-midi qu’elle nous sommait de grimper à la corde lisse, en nous disant que c’était facile et que nous étions tous des faignants, un couillu de la classe lui demanda de montrer l’exemple. Elle répliqua sèchement qu’elle avait arrêté depuis longtemps « de jouer les clowns devant les élèves ! » Texto. Désolé mémère mais avec un tel jogging, tu es un clown toute l’année !
Son truc favori était de nous faire faire de l’endurance. Vous savez, courir en rond dans la cour comme des idiots jusqu’à épuisement total. Très utile pour avoir quasiment une heure de repos pour elle ! Nous en sortions crevés et tout transpirant. Je détestais ça. Ce qui fait que je me cachais derrière un arbre ou marchais le plus souvent, et je me ramassais des sales notes. Mais qu’importe ! Mes parents s’en foutaient du sport et je préférais ça plutôt que de puer la sueur ensuite. Quand nous débutions la matinée par « EPS » comme on disait à l’époque (Education Physique et Sportive), le reste de la journée était difficile, encore plus pour ceux qui ne rentraient pas le midi.
Le seul sport pratiqué par Mme M. était la chasse aux pétasses qui fumaient dans les vestiaires. Une tradition adolescente pourtant. Elle distribuait heures de colle et autres mots sur le carnet de correspondance à toutes celles qui se faisaient prendre en flag’. Ça ne devait pas être simple à expliquer le soir à ses parents ça… Un jour pourtant, avec une camarade, nous pénétrions dans sa loge pour lui ramener le carnet d’absence qu’elle avait oublié de signer le cours d’avant et nous la vîmes en train de fumer une blonde avec, juste au-dessus de sa tête, un panneau « DEFENSE DE FUMER ». Le contraste était saisissant. Elle comprit que, comme ses poumons, elle venait de se faire griller et tenta d’éteindre l’incendie en écrasant de suite sa clope dans un petit cendrier en verre qu’elle avait sans doute ramené, tout en disant piteusement : « Je ne devrai pas fumer ici… » J’aurais dû exploiter ça à l’époque mais c’était lors de ma première 5e. Elle me fichait plus ou moins la paix. Redoublant, je la retrouvais l’année suivante, en prof principale en plus, et c’est là qu’elle fît de moi sa cible prioritaire.


Le gosse apeuré que j’étais en 6e s’était blindé. Je faisais ma crise d’adolescence avec fureur. J’étais devenu ce genre d’élève qui répondait aux profs en utilisant l’humour, l’ironie et le sarcasme. Je les prenais carrément pour des cons en souriant. Ça les rendait encore plus dingues que de les insulter pour de bon. Exemple. Un jour, avec cette prof, elle nous distribua des feuilles pour inscrire nos scores après quelques épreuves ou je ne sais plus quoi. Il fallait mettre son nom et prénom en haut. D’humeur comique ce jour là, j’inscrivis simplement : « moi » dans la case. Quand elle releva les feuilles et qu’elle les passa en revue, elle demanda, pas contente, qui avait écrit : « moi ». Je levais la main et dis : « Moi ! » Toute la classe éclata de rire, mais pas la prof. C’est avec ce genre de nazerie, multipliée à l’infini, que je devins son homme à abattre. Comme elle me l’avait dit : « Jamais tu ne passeras en 4e ! » Elle en faisait une affaire personnelle et, en tant que prof principale, elle avait de solides arguments pour me dégager et me faire entreprendre ainsi un merveilleux CAP, CPPN, CPA et autres 4e technologique, toutes ces voies de garage ne menant à rien, qui ont détruit des avenirs d’élèves avant l’heure, et dont le seul but était d’alléger les collèges et de les débarrasser des fouteurs de merde mais aussi des rêveurs et autres semi-autistes.
Il ne faut pas croire que j’étais le seul à subir son prosélytisme là-dessus. D’autres y eurent droit également et dans les mêmes proportions. A croire qu’elle touchait sur chaque conversion ! Cela marcha chez certains, comme pour S., une fille de la classe. Mme M. lui rabâchait sans arrêt que ses notes étaient trop faibles pour passer en 4e et que c’était pour elle la meilleure solution. A force de taper sur un clou, il finit par rentrer. S. se laissa convaincre et, avant même la fin du 3e trimestre, elle entreprit les démarches pour se lancer dans un CAP dès l’année suivante. Pour elle, son sort était réglé. Mais d’autres faisaient encore de la résistance. Pour moi, ces orientations étaient synonymes d’échec scolaire total. Je savais qu’on y envoyait que les cassos. Il était hors de question pour moi d’aller là-dedans. J’aurais préféré encore tripler. Devant mon refus, la pression se fit encore plus grande. La phrase préférée de Mme M. sur mes trimestres était : « Songez à votre avenir ! ». Ça sentait mauvais. Il fallait réagir.


Le 3e trimestre se terminait et je m’étais réveillé les dernières semaines question boulot. Le bilan était là, j’avais la moyenne quasiment dans chaque matière. Armé de ces presque bonnes notes, et protégé par ma prof de français qui croyait en moi et m'encourageait, je pus échapper au sort peu enviable que Mme M. m’avait réservé dès le début de l’année.
Nous étions en fin d’après-midi, le conseil de classe venait tout juste de se terminer et le stress était intense pour moi, mon avenir se jouait là. C’est justement ma prof de français qui m’annonça la bonne nouvelle en sortant du collège et ce fut comme de mettre une soupape à une cocotte-minute sur le feu depuis des heures. Un soulagement incroyable. La raccompagnant jusqu’à sa voiture, une Renault 5 orange toute pourrie, je la questionnais sur la réaction de Mme M. lorsqu’elle sut que, malgré tous ses efforts pour m’en empêcher, je passais tout de même.

- Olalala, elle n’était vraiment pas joice !

Je l’avais vaincue. DTC vieille salope !
Rentrant finalement à la maison, afin d’annoncer la nouvelle à ma mère qui devait stresser autant que moi, je vis S. recroquevillée dans un coin. Elle pleurait à chaudes larmes et se faisait réconforter par ses copines. J’appris que Mme M. venait de lui dire que, finalement, ses notes auraient été suffisantes pour la faire passer en 4e. Si ce n’est pas de la dégueulasserie pure ça…

DANS MA CHAMBRE (L'ANTRE DU DEMON)

Je le sais bien, les ados passent tous par une phase de quasi hibernation sociale. Ils vivent dans leur chambre. En sortir est un supplice. Je le sais. Je l’ai vécu. Je devais résister aux pressions maternelles :
- Viens mettre la table (ouais, j’arrive ….d’ici un an ou deux !) ;

- Faut penser à débarrasser la table avant de remonter dans ta chambre (à croire que c’était mon but dans la vie de poser et d’enlever des couverts) ;

- Il est l’heure de te lever (la pire phrase qu’on ait inventée) ;

- Sors un peu de ta chambre, regarde comme il fait beau (oui et ????) ;

- Va falloir ouvrir le velux, on va faire le ménage (tous les signaux d’alerte sont au rouge) ;

- Veux-tu descendre, on a de la visite (pitié, va falloir que je sois aimable) ;

- Éteins la musique et prépare-toi, on va faire les courses (hourra, youpi, encore) ;

- Viens voir, y’a Lady Di à la télé (bon là ok je voulais bien descendre, faut pas déconner)….


Mon but dans la vie c’était de :

- Me lever le plus tard possible ;

- Traîner en pyjama ou chemise de nuit ou vieux t-shirt informe ;

- Écouter de la musique / faire des compilations ;

- Causer aux copines au téléphone en tirant une rallonge de fil téléphonique de 250 mètres ;

- Descendre dans la cuisine quand personne n’y était ;

- En remonter des paquets de gâteaux, des crèmes desserts, des plaquettes de chocolat ;

- Relire Ok, Podium ou tout magazine du genre pour le 200ième fois ;

- Découper les stars les plus cools pour les coller sur mes murs ;

- Coller les stars moins cools sur les courriers pour les copines ;

- Coller les stars ultra cools sur les couvertures de mes cahiers ou classeurs ;


- Chanter dans le micro relié à la chaîne Hifi de ma chambre pour réenregistrer tous les albums de ma discothèque ;

- Ré écouter les K7 et me dire que j’allais les brûler dans le jardin ;

- Me dire que nan en fait, j’allais les garder pour ma copine que j’adore ;

- Faire des compilations K7 moitié enregistrements de disques / moitié morceaux topés sur la radio et donc jamais en entier ;

- Faire le DJ dessus avec mon micro pour tenter de cacher que j’avais que la moitié de la chanson ;

- Faire des K7 de slows pour les copines et décorer soigneusement les jaquettes avec les cœurs et des loves partout en rose et mauve et turquoise ;

- Sortir tous les vêtements de l’armoire et tout essayer ;

- Tout remettre en merdouille ou pas du tout ;

- Faire ma valise pour le Choupikistan quand ma mère découvrait ce que j’avais fait de son beau tas de linge lavé et repassé ;

- Une fois habillée à la cool, passer dans la salle de bains et piquer du maquillage à ma mère ;

- Tenter un maquillage léger et frais façon Boy George et décider que le jaune et le vert me vont moyennement au teint ;


- Faire une 2ème valise pour le Choupikistan quand ma mère trouvait son crayon à lèvres réduit de moitié et la mine cassée ;

- Chourer la vieille bouteille de Petrol Hahn dans le placard et me la renverser sur la tête pour créer des épis comme Paul Young ;

- Passer une heure sous la douche avec le cuir chevelu en feu parce que la bouteille devait être là depuis la chute du Saint Empire Romain ;

- Manger en une fois toutes les réserves de chocolats/gâteaux parce qu’on a une petite faim ;

- Demander la nationalité Choupikistanière quand ma mère s’apercevait que le lit était couvert de miettes et de morceaux de chocolat collés dans les draps fraîchement lavés repassés ;

- Mettre sous verre des cartes postales de couchers ou levers de soleil sous les tropiques ;

- Écrire aux copines du camping qu’on ne reverra jamais mais à qui on jure fidélité d’amitié éternelle ;
- Se vautrer sur la couette pour regarder la télé sur le vieux poste avec les antennes en métal qu’on doit tourner dans tous les sens pour avoir l’image parce que même si la qualité d’image et de son est pourrie, c’est mieux que de regarder la télé avec les parents ;

- Mettre Wham ! et danser dans la chambre jusqu’à ce que ma mère arrive en bas de l’escalier et braille que ça suffit ce boucan et que le plafond va leur arriver sur la tête ;

- Faire les devoirs en commençant par soigner la copie double grands carreaux et la laisser en plan au bout de 10 minutes parce qu’on a bien le temps de rendre ce devoir et qu’on a envie de réécouter la K7 de Bob Marley ;


- Dire à sa mère que oui c’est du reggae qui braille dans la chambre mais que, oui, on a fini les devoirs et que, nan, c’est pas la peine de beugler et encore moins de venir voir où on en est des devoirs inscrits sur le cahier de texte ;

- Tenter désespérément de trouver une excuse pour ne pas aller au déjeuner des amis des parents ;

- Parce qu’on va se faire chier ;

- Parce qu’il est hors de question qu’on mette le kilt et le chemisier à col Claudine ;

- Non, on mettra pas les chaussures vernies non plus ;

- Oui on a les cheveux collés par le Petrol Hahn de la veille et non ce n’est pas une raison pour mettre des rouleaux et faire une belle mise en plis ;

- En effet, coiffure punk et chemisier ne vont pas ensemble mais ça tombe bien on va mettre un slim noir et un pull informe ;

- Finir par aller au déjeuner avec un serre-tête en velours noir dans les cheveux pour plaquer les épis et décider qu’on est prête à mourir si on croise une connaissance ;

- Lire le soir jusqu’à l’heure autorisée puis continuer à lire sous les draps avec la lampe de poche ;

- Ne pas imaginer une seconde qu’un jour on vivra hors de cette chambre.

DEPECHE MODE - THE SINGLES 81-85

01 - Dreaming Of Me. 02 - New Life. 03 - Just Can't Get Enough. 04 - See You. 05 - The Meaning Of Love. 06 - Leave In Silence. 07 - Get The Balance Right. 08 - Everything Counts. 09 - Love In Itself. 10 - People Are People. 11 - Master And Servant. 12 - Blasphemous Rumours. 13 - Somebody. 14 - Shake The Disease. 15 - It's Called A Heart. 16 - Photographic (Some Bizarre version). 17 - Just Can't Get Enough (schizo mix).

Première compilation du groupe, sortie en plein succès et à vertu éducative, histoire de faire découvrir aux nouveaux fans les premiers morceaux du groupe et de se faire accessoirement encore plus de blé. Son achat demeure tout de même indispensable pour les quatre singles jamais sortis en album, à savoir leur tout premier, Dreaming Of Me, puis Get The Balance Right (chanson commandée et détestée par Martin), It’s Called A Heart (merde commerciale pour tout le groupe mais que je ne peux oublier…) et l’incroyable Shake The Disease qui me transporta durant tout l'été 85. Une nouvelle version de cette compilation, sortie en 1998, ajoute deux titres sans grand intérêt: Photographic (Some Bizarre version) et Just Can't Get Enough (schizo mix).


A noter qu'une version américaine de cette compilation, baptisée Catching Up With Depeche Mode, est facilement trouvable par chez nous mais lèse le consommateur sur les chansons avec la disparition de Get The Balance Right et The Meaning Of Love et prétend compenser ça avec les faces B fadasses de Shake The Disease et It's Called A Heart (respectivement Flexible ou Fly On The Windscreen). A éviter.

VIVE LE VENT, VIVE LE VENT, VIVE LE VENT D’HIVEEEEEEEEEEEEERRRRRRRRRRR…

On se rapproche de ce qui fut, tous les ans, la période la plus importante de ma vie de gamine : Noël ! Il me faut donc vous en causer.
J’attendais ça avec impatience. J’en trépignais même. Je savais que dès le premier week-end des vacances scolaires, on allait charger la voiture (avec ma mère, on n’était jamais déçus et le directeur du cirque Barnum pouvait aller se rhabiller question bagages et bordels en sacs), embarquer le clébard, préparer le sac à pique-nique (sandwiches pâté de foie, œuf dur, gâteaux secs et chips des fois qu’on tombe dans une congère et qu’on doive tenir huit jours sans aide extérieure) et fermer la maison en vérifiant bien qu’on n’avait rien oublié.
J’embarquais mon sac à Barbie et ma mère embarquait le sac à vomi. Parce qu’évidemment, j’étais malade en voiture. Du coup, on voyageait de nuit dans l’espoir que j’allais pioncer et que j’en oublierais d’être malade. Le jour où on a inventé le cachet qui empêche d’envoyer des gerbes partout dans la voiture fut un jour faste.


On arrivait donc de nuit. Dans un petit quartier tranquille d’une petite ville tranquille de l’Est de la France. Notre arrivée ne passait pas inaperçue vue que les chiens de mes grands-parents se mettaient à hurler, que notre toutou leur répondait, que les chiens du quartier s’y mettaient à leur tour, que mon grand-mère beuglait que « non de dieu on allait réveiller tous les voisins », que ma grand-mère braillait à mon grand-mère qu’on n’avait pas idée de crier pareillement, que mon père ronchonnait qu’il en avait plein les pattes d’avoir roulé de nuit et que c’était pas pour tomber dans un bordel pareil et tout se concluait par des gaufres.
Une fois les chiens de la maison calmés et ceux des voisins tirés au fusil à lunette, on pouvait enfin se poser dans le salon et procéder au rituel de la maison : la présentation des gaufres. Ma grand-mère nous installait autour de la table et posait au centre du meuble une assiette couverte d’alu qui faisait au bas mot 3 mètres de haut. Elle sortait les pots de confiture fraise et abricot et le sucre en poudre. Mon père attaquait la pile et ma mère entreprenait de me coucher dans la petite chambre, dans le lit de camp. J’entreprenais de lui dire que moi aussi je voulais des gaufres et que je voulais aller à table. Il faut dire qu’après avoir vomi pendant tout le trajet, j’avais un peu l’estomac vide. On se retrouvait donc à deux heures du matin à manger des gaufres parfois accompagnées de café au lait. Ensuite, on allait se coucher et on se disait très vite qu’on avait trop mangé et qu’on n’allait pas digérer. Un repas voire une collation où on ne mange pas à s’en faire vomir, ça ne vaut pas le coup !


Le lendemain, je me levais et je pouvais enfin profiter du paysage. Il y avait de la neige. Partout. On voyait les petites traces de pattes des oiseaux et c’était tout. Il faisait une chaleur infernale dans la maison et on ouvrait vite les fenêtres des chambres pour bien aérer. C’était le moment de prier Sainte Pleurésie qu’elle veuille bien nous oublier.
J’enfilais mes chaussons-chaussettes, ma robe de chambre en machin matelassé et je filais vers le salon. Et là, vous n’y croirez pas : on déjeunait ! On avait ressorti les gaufres qui restaient (y’en avait pas lourd faut dire), on avait rempli les bols de café au lait et posé sur la table le pâté de tête et le camembert. Comment voulez-vous démarrer une journée sans tartines beurre-camembert plongées dans le café au lait ? Je fais mon coming-out, je n’ai jamais pu déjeuner comme ça. Je voulais bien de la gaufre mais pas du reste !

On devait ensuite tirer au sort qui irait en premier à la salle de bains vu que les toilettes s’y trouvaient aussi et que ça provoquait une émeute si on avait dans l’idée d’y rester plus de 2 minutes montre en main. Moi, je m’en foutais un peu, j’aimais ça traîner en robe de chambre à jouer avec mes poupées, retrouver les bouquins laissés lors du séjour précédent, attendre les cousins et surtout zyeuter l’emplacement. Le seul et l’unique. Celui du sapin de Noël. Ma grand-mère attendait toujours que moi et mes cousins soyons là pour le monter afin que tout le monde participe. C’était comme de juste un sapin en faux (un vrai n’aurait pas tenu dans une atmosphère à 58°) et on avait hâte d’y accrocher les guirlandes un peu déplumées par des années d’usage, les décorations super fragiles et l’étoile tout en haut.
Une fois le sapin monté, ça voulait dire que les cadeaux s’annonçaient. On se chamaillait, on se foutait sur la margoule, le sapin tanguait, mon grand-père frisait l’attaque d’apoplexie parce qu’on l’empêchait de suivre l’arrivée du tiercé, c’était chouette.
Finalement, j’étais envoyée dans la salle de bains, j’enfilais le sous-pull acrylique bleu pétrole qui gratte, le pull sans manche orange à col en V, le pantalon en velours côtelé, les moon boots, le bonnet ou la cagoule honnie, le vilain blouson de ski corail/gris, les gants bleu marine et hop, dehors. On déboulait dans le jardin pour faire un bonhomme de neige et s’envoyer des briques de neige dans la tronche. Non vraiment c’était chouette.


Vers 11 heures, tout le quartier entrait en transes parce qu’on entendait deux cornes de brume qui immédiatement tout de suite faisaient sortir les bonnes dames de leur foyer avec le même porte-monnaie noir à la main, celui qui se ferme par deux trucs dorés qui se claquent et comporte au fond une fermeture éclair qui donne accès au réservoir à billets pliés en quatre. Se succédaient donc le boulanger et le boucher, tous deux en tube Citroën aménagé. Il stoppait au milieu de la route. Le conducteur passait à l’arrière et ouvrait l’auvent de la porte du fond ou du côté. On achetait donc son pain et si c’était un jour faste des religieuses ou des glands. Des fois on osait le baba au rhum mais ça faisait « osé ».
Le boucher, lui, proposait des trucs sympas (terrines, pâtés, quiches, gnocchis) ou qu’il était hors de question que j’ingurgite (steaks, tranche de foie, côte de porc). C’était chouette de voir les dames mettre un fichu sur la tête, des bottes fourrées aux pieds et un châle sur les épaules en se jetant de loin des « B'jour, madame Berlingot, dites donc kesski fait froid ! » (c’est vrai que pour un mois de décembre de ce coin reculé de l’Est de la France, c’était vachement un scoop).

On rentrait tout ça à la maison et en deux temps trois mouvements, c’était déjà l’heure du déjeuner. Un truc rapide et léger. Pâté de tête maison fait par mon grand-père et plateau de crudités, steak grillé, patates sautées, salade verte, fromages et gâteau à l’ananas caramélisé. Pour une raison qui m’échappait totalement, après ça, les hommes pionçaient allègrement et les femmes s’installaient sur le canapé pour bavasser en gloussant. Et nous, on repartait à l’attaque du bonhomme de neige et on tentait de convaincre le chien de se laisser mettre en laisse pour nous traîner sur le skateboard dans la neige. Les jours passaient sur le même rythme et on arrivait enfin au 24 décembre !
Dès le matin, on s’affairait en cuisine du côté des femmes, les hommes évitaient de traîner dans leurs pattes et partaient se balader ou allaient chercher le pain et les gâteaux au centre-ville (15 baguettes, 12 pains de seigle pour les huîtres, 8 brioches et autant de gâteaux-bûches pour dix personnes ….. des fois qu’on manque). Nous on se mettait en planque pour regarder le ciel. La lumière rouge qui annonçait le balisage du ciel pour la venue du Père Noël. Bon, en fait, le clignotant rouge de l’antenne géante de la gendarmerie mais personne n’avait jugé utile de nous détromper.


Les femmes tentaient de dire aux hommes de se raser et de mettre un beau pull. Les hommes disaient que « bordel, c’est les vacances » et que donc y’avait pas moyen même si VGE devait venir dîner ce soir. Les femmes, elles, mettaient quand même un chemisier et se refaisaient la mise en plis. On achetait une bombe de laque pailletée argent et on s’en foutait partout. Mes cousins avaient droit au smoking et à la chemise à jabot (rire sardonique de la gamine d’alors qui a gardé les photos en lieu sûr). Et on se mettait à table !
On attaquait avec des petits canapés qu’on avait commencé à tartiner vers 16h00 pour grignoter avec l’apéro en alternant avec des saucisses Jean Caby. On arrivait à l’heure du dîner et plus personne n’avait faim. On était donc prêts à attaquer l’entrée : coquilles saint Jacques avec le dessus gratiné et escargots farcis. On enquillait sur du rosbif avec des pommes dauphine et la salade verte, ceux qui chouinaient parce que la viande c’est une gentille bête qu’on a tuée avaient du boudin blanc (comme chacun sait issu d’une plante qui devait pousser dans le jardin) !
Y’avait toujours un plateau de charcuterie qui trouvait le chemin de la table quel que soit le menu et qui n’allait nulle part sans son frère jumeau le plateau de fromages. On ne s’avisait pas de finir un repas aussi raisonnable sans une portion de bûche à la crème au beurre dont tout le monde s’accordait à dire qu’elle était écoeurante (raison pour laquelle sans doute on en rachetait tous les ans) et qui du coup, devait être suivie, pour digérer, d’une portion de bûche glacée.

Tout ça nous menait à minuit facile et on nous annonçait qu’il allait falloir qu’on aille se coucher parce que le Père Noël n’allait pas tarder à passer. On était excités comme des puces, gavés de sucreries, on s’était déjà battus trois fois au moins, on avait essayé de se planter dans l’œil les petits personnages à la hache qui décorent la bûche….tu penses si on avait envie d’aller pioncer ! On allait d’abord coucher le plus petit d’entre nous. On nous foutait ensuite au lit. On attendait qu’il s’endorme, on se relevait et on allait dans sa chambre, plongée dans le noir, se mettre à hululer et à dire que le monstre allait le manger. Assez bizarrement, il se mettait à hurler et à appeler sa mère qui arrivait en nous promettant que ça allait barder si on avait encore foutu la trouille au petiot. Boauhhhhhhhhh …tout d’suite !
Finalement, tout le monde prenait sa marmaille sous le bras et repartait à la maison vers 2 heures du matin. J’étais donc couchée vers 2h et à partir de ce moment, toutes les 30 minutes, je disais « Ayé ? il est passé le Père Noël ? ». A 4h30 environ, mon père menaçant de me passer dans le broyeur à viande, ma mère se levait et ma grand-mère attendait déjà devant le sapin (laquelle des trois était la plus énervée ?). Je me ruais dans le salon et je me jetais sur les cadeaux. Tous les cadeaux. On me rappelait alors que tout n’était pas pour moi et c’était une salement mauvaise nouvelle… Tous les cadeaux avaient une étiquette en carton pliée en deux avec une ficelle qu’on scotchait sur un coin du cadeau. Il fallait donc chercher son prénom. Et l’ouverture prenait deux secondes tandis qu’on me demandait d’épargner le papier cadeau qui pouvait resservir ! Non mais pis quoi encore ! Il fallait tout de suite savoir ! Parce que là-dedans il y avait forcément une Barbie ou sa cuisine ou sa piscine ou sa maison et que ça ne pouvait plus attendre !
Les cousins devaient être équipés d’un radar détecteur spécial ouverture de paquet parce qu’ils arrivaient dans la foulée avec leurs jouets. Han ! Ça me plaisait bien aussi ces machins de garçons. Le bidule format Big Jim Alcor et son équivalent Actarus avec des costumes peints sur le corps …ouh là ! Là, je les ai drôlement enviés ! L’Action Joe avec ses cheveux en moquette, il aurait fait un sacré copain pour ma Barbie plutôt que ce freluquet de Ken.
Les hommes s’occupaient des bidules à piles pour les gamins et moi j’avais ma cousine adorée pour monter mes trucs Barbie d’après une notice de 12 pages rédigée en malgache. Elle était d’une patience qui égalait mon incapacité à monter ces machins tarabiscotés. Je les voulais tout de suite maintenant prêts à jouer ! Et qui n’a jamais monté la piscine Barbie de 1977 ne peut imaginer la torture mentale que ça représente ….


C’était sûrement la seule journée des vacances où on ne nous entendait pas. On ne se foutait pas de peignées, on ne bramait pas, on ne cassait pas les verres de lampes à huile posées sur un meuble du salon (quelle idée)… mais la trêve était de courte durée. Dès le lendemain, on avait déjà perdu la moitié des petits accessoires, foutu une beigne ou deux, mené le grand-père aux limites du break-out mental. On était redevenus nous-mêmes. On était prêts à garder précieusement tous ces souvenirs en tête. Rien qu’en fermant les yeux, j’y suis à nouveau. Tiens, je vais aller m’acheter une Barbie en sortant du boulot….

LES LIVRES DE FESSES DE PAPA

Pour se renseigner sur les femmes, la génération de garçons des années 60 avait le catalogue de la Redoute, « à Roubaix », seul moyen pour elle de voir de la chair, même si elle était moulée dans des gaines de grands-mères.
Celle des 80/90’s, c’était Canal + et son mythique porno du samedi soir, avec deux fois plus de gens qui le regardaient en codé qu’en clair et dont la moindre évocation d’une passoire suffit désormais à leur déclencher une érection…
Les p’tits jeunes de nos jours poussent joyeusement avec Jacquie Et Michel et leurs films fleurant bon le glamour, l’hygiène rigoureuse et les décors bucoliques des caves des cités…
Mais la génération des années 70/80, la mienne, c’était les livres de fesses de papa, les fameux Playboy et autres Newlook. A moins d’avoir des parents se baladant à poil chez soi ou d’espionner sa/ses sœur(s), ces images de papier étaient les seules représentations que nous avions de la femme. Ce n’était pas forcément pour se rincer l’œil mais surtout pour nous donner de vagues réponses aux questions claires que nous nous posions presque tous.


Vers 10/12 ans, les mystères de la vie commençaient à nous travailler. Issue d’une génération soi-disant libérée, il n’en restait pas moins que le sexe, et la sexualité en générale, relevait encore du tabou. On se voyait mal demander à nos parents : « comment on fait les bébés ? » Les plus gonflés ayant osé étaient repartis avec une phrase-bateau du genre : « T’es trop jeune pour savoir ça ! » ou carrément une baffe dans la gueule
Avec ma voisine de palier, nous nous interrogions là-dessus dès l’âge de 8/9 ans. Précoces ! Nous en débattions très souvent. Je revois la bonne copine m’exposer un jour sa nouvelle théorie, très sportive. Debout devant son tableau noir, une craie à la main, elle dessina du mieux qu’elle put, donc mal, un homme et une femme se faisant face à face. Sa théorie était la suivante. D’après elle, pour faire un bébé, l’homme propulsait une sorte de graine de sa zigounette (elle traça une flèche partant du bas du pantalon du mec) et la femme devait l’attraper à distance par son nombril (la flèche s’arrêta sur le ventre de la nana). De la pelote basque quoi ! La graine tombait dedans, tournait, se mélangeait et au bout de plusieurs mois, pouf ! Un alien à la maternité... Qu’est-ce qu’on en chiait quand même !

Certains pourraient nous dire que l’école était censée répondre à nos interrogations. Je leur dirais que s’ils pensaient aux cours d’éducation sexuelle, il fallait quand même attendre le collège et la 4e, ce qui était assez tard. On savait déjà tout ce qu’il fallait savoir à ce moment-là. Cela dit, il y avait toujours dans ces classes un ou deux neuneus de 14/15 ans ne sachant toujours pas que l’asticot entre leurs jambes ne servait pas seulement à faire leur pissou…
Ces cours leur dévoilèrent peut-être le mode d’emploi, avec en bonus les histoires de règles des bonnes femmes qui nous gâcheront tant de soirées plus tard, mais rien de plus. Juste du factuel. Pour ce qui était de la sensualité, de l’érotisme et des mille et une façons de bien faire l’amour, il ne fallait pas rêver. Pour ça, il n’y avait pas de notice.
L’éducation sexuelle à l’école, ce n’était qu’un cours de biologie de plus digne de la reproduction des porcs de ferme.


Avec des parents autistes sur le sujet, et un manque criant d’informations, il était évident que cela attiserait deux fois plus notre curiosité. Pourquoi tant de mystères ? Pour nous, cela cachait un secret immense. Nous savions juste que c’était lié à la nudité et pensions donc logiquement que la réponse nous serait donnée en feuilletant les magazines interdits de papa. C’était aussi simple que ça. De plus, certains gamins portant haut la coupe au bol avaient remarqué les étranges, mais très agréables, sensations qu’ils éprouvaient en regardant des femmes nues. Une bonne occasion de joindre l’utile à l’agréable.

Avec la libération des mœurs des années 70, le choix de revues olé-olé ne manquait pas. Lui, Playboy, Newlook, Penthouse plus tard, Photo etc. Quand on les regarde aujourd’hui, lorsque l’on tombe dessus en brocante, on est stupéfait de voir à quel point c’est soft. Il y a clairement eu une surenchère dans la photo de charme. Le nu artistique n’existe plus. Désormais, c’est plans gynécologiques et poses de chienne dominée. On est passé du soft au hard puis au trash.
Mon père n’achetait que Newlook, même s’il pouvait lui arriver de ramener un concurrent juste pour voir une people du moment à poil dedans. La curiosité poussait à l’achat, aussi bien sur Victoria Principal que Danièle Gilbert…


Plus que les pépés à l’intérieur, mon père aimait les reportages de Newlook. De grandes et belles photos pleine page sur des sujets aussi étonnants qu’improbables comme les requins, la vie sur les plates-formes pétrolières ou la chasse aux rats dans les égouts de Paris.
Chaque mois, il ramenait le nouvel exemplaire, le plus discrètement possible. Je me souviens, il le planquait dans son France-Soir. Mais je le voyais quand même. Il était là et il fallait donc que je le feuillette pour savoir si les nanas allaient être à mon goût dedans. Rien que ça, c’était excitant.

En général, la fenêtre de tir pour atteindre ces revues prohibées étaient le mercredi après-midi. Pas d’école. N’étant pas inscrit à un truc de sport ou artistique, et étant encore trop jeune pour sortir tout seul, ou pas plus loin que le Prisunic du coin, je restais à glander à la maison. La chambre parentale était juste à côté. Plutôt simple. Non ! Il fallait affronter une redoutable sentinelle : ma mère ! Non pas qu’elle se doutait de quelque chose mais moi je le pensais. La culpabilité vous fait imaginer de ces trucs…
Le problème venait souvent du fait que ma mère, prototype même de la femme au foyer de ces années là, ne décollait pas de la baraque. Pendue au téléphone, à jacasser pendant des heures avec ses amies ou frangines sur des sujets aussi passionnants que le p’tit Grégory ou les pertes blanches de Lady Di, cela me donnait peu d’occasions pour aller dans la chambre, faire le tour du lit, aller côté paternel, soulever la couverture dans le coin et y trouver le nouvel exemplaire posé sur le haut de la pile.
J’ai développé pendant ces années là une aptitude digne des meilleurs ninjas pour m’introduire quelque part puis repartir sans qu’on me voie. En chaussettes pour atténuer le bruit sur le parquet, rasant les murs, aux aguets au moindre retour maternel, je me glissais, serpentais, me coulais vers la pile et ouvrais le new Newlook le cœur battant. J’y étais ! Il fallait faire vite. Je n’avais que quelques secondes pour le feuilleter et espérer y trouver les précieux gros seins, tout juste bonnet C mais qui, à l’époque, suffisaient à m’expédier directement dans la dimension du bonheur.


Tout cela était digne d’une séquence Ushuaïa et en bien plus dangereux car me faire prendre en flag par ma mère aurait été un drame terrible. Pensez donc ! Son innocent petit garçon si bien habillé, si bien peigné, si bien élevé, regardant en cachette des femmes nues ? Mais quelle horreur ! Quelle abomination ! C’était un coup à se faire déshériter sur le champ. Mais comme nous n'avions ni argent, ni biens...
Par chance, je ne me suis jamais fait gauler et j’ai presque toujours atteint mes objectifs dans la semaine. Parfois, c’était très décevant. Avec trois ou quatre pétasses dénudées par exemplaire, je pouvais supposer qu’il y en aurait au moins une à mon goût. Hélas, il arrivait assez souvent que le bouquin fusse vide. Rien qu’une succession de nanas maigres, bronzées, avec des coupes de cheveux courtes et géométriques, pas de seins, des tétons bruns et pointus, des gueules sèches et sévères. Beurk ! Le mois était foutu. Tout ce travail et cette attente pour rien. Quelle déception ! Les années 80 ne furent pas très gentilles avec les amateurs de formes
Et même quand une laitière demi-écrémée pointait l’un de ses modestes pis, c’était pas Byzance. Je n’avais pas le temps de la détailler comme j’aurais voulu. C’était surtout ça qui m’agaçait le plus. Je ne pouvais donner que des coups d’œil furtifs. Du fait de l’excitation, de la promesse de quelque chose que j’attendais tant, et du danger, les émotions étaient brutes, violentes et délicieuses certes, mais trop éphémères. J’aurais voulu prendre mon temps et savourer l’instant. Déjà à l’époque, je montrais des dispositions à la valse lente avec les femmes…

Heureusement, il y avait une alternative : ma voisine de palier. Encore elle. Et comme ses parents bossaient toute la journée, nous avions tout le temps du monde pour nous rincer l’œil chez elle. Nous en avons passé des mercredis après-midi ainsi, à feuilleter tout d’abord les Union de sa mère, véritable courrier du cul, bidonné à mort, avant d’enchaîner sur les revues de son père, qui était plus branché Playboy et Lui. Cela permettait de varier le menu.
Passant les pavés de Norman Mailer qui truffaient ce genre de magazines afin de donner bonne conscience à leurs acheteurs bien qu’ils ne les lisent jamais, nous explorions ces bouts de viande humains s’étalant devant nos jeunes yeux. C’était quand même pas joli-joli. Et il n’y avait que des femmes. C’est pas que ça me dérangeait, loin de là, mais la voisine si, et elle se plaignait souvent qu’elle aurait aimé se renseigner de la même façon sur les garçons… Je précise que nous n’avons jamais joué au docteur. C’était pas notre genre, éducation coincée, presque chaste. La nudité nous terrifiait. Et c’est sans doute pour ça que nous avons eu ensuite une vie privée aussi intense et dissolue chacun de notre côté…

Impossible également pour moi de passer sous silence les BD italiennes de cul importées par Elvifrance. En vente partout, aussi bien dans les gares, dans des présentoirs mobiles, que dans les bleds les plus reculés de France, elles ont marqué toute une génération, la mienne. Je me rappelle qu’on en trouvait même chez ma grand-mère dans le seul bar-tabac du village faisant office de librairie, station service, poste, livraison de pain, épicerie, cordonnerie et cinéma…


Les titres étaient nombreux et variés. Mafioso, Prolo, Sam Bot, Maghella, Les Meufs, sans parler de centaines de hors-série. Il y en avait pour tous les (mauvais) goûts. Peu chers, épais, mon père en achetait surtout pour se marrer. Et il y avait de quoi ! Avec ses dessins improbables, souvent pompés ailleurs, parfois chez Marvel, et des histoires complètement branques, c’était du délire pur et simple. Nous passions des vengeances posthumes aux extraterrestres queutards ! Les mafieux d’opérette et autres histoires de prostiputes plus malines que leur maquereau ne manquaient pas, le tout dans un déluge d’ultraviolence gratuite, d’humour lourdingue et de dialogues orduriers et racistes. Incroyable !


Je fus un redoutable voleur de ces BD petit format, facile à dissimuler donc, que mon père planquait dans son tiroir de table de nuit avant que ma mère ne les jette compulsivement, n’aimant pas ce genre de littérature et préférant nettement ses tabloïds lui livrant hebdomadairement sa dose de vie des riches racontée aux pauvres.


Vu la taille de ces BD, je pouvais même m’offrir le luxe de les garder un peu dans ma chambre afin de les lire à fond. Au début, c’était les dessins affichant crânes, sang et tripes qui attisaient ma curiosité. Toutes ces histoires se terminaient généralement très mal, l’encre noire se déversait quasiment à chaque page.


Devenant ado, je compris le 564151e degré de ces BD et me mis à les apprécier pour ce qu’elles étaient, un joyeux foutoir délicieusement vulgaire et con mais totalement assumé. Un de mes meilleurs souvenirs de BD.